25 janvier 2024 - Anton Vos

 

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«RefFIT», le logiciel qui fait parler les spectromètres

Un logiciel permettant d’analyser les données des spectromètres et de caractériser les matériaux a décroché un financement Venture Kick de 150'000 francs. Une start-up est sur le point d’être créée pour le commercialiser.

 

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Nicole Ruckstuhl, Iris Crassee et Willem Rischau, chercheuses et chercheur au Département de physique de la matière quantique (DPMQ, Faculté des sciences) et fondateurs de la start-up Speqqle chargé de commercialiser le logiciel Reffit. Image: X. Ravinet / UNIGE

 

RefFIT est un logiciel très pointu, destiné pour l’instant à la communauté scientifique. Et pour cause, il est spécialisé dans l’analyse fine des mesures réalisées par des instruments de mesure appelés spectromètres. Mais cet outil informatique, unique en son genre et qui a su se rendre indispensable à tous ceux qui, à travers le monde, cherchent à caractériser des matériaux avec la plus grande précision possible, est désormais promis à de nouveaux horizons. Iris Crassee, Willem Rischau et Nicole Ruckstuhl, affilié-es au Département de physique de la matière quantique (DPMQ, Faculté des sciences), sont en effet sur le point de créer formellement une start-up, baptisée «Speqqle», dont l’objectif sera la commercialisation d’une version plus complète et plus simple d’utilisation du logiciel actuellement disponible gratuitement en ligne. Il devrait ainsi sortir du monde exclusivement académique pour se lancer dans celui de l’industrie. Ce développement est devenu incontournable après que l’équipe a remporté, en novembre dernier, la troisième et dernière étape du programme d’amorçages de start-up organisé par l’initiative philanthropique Venture Kick. Ce processus a permis au projet RefFIT d’empocher un total de 150 000 francs afin de rédiger, entre autres, un business plan en bonne et due forme.

 

 

«Le logiciel RefFIT est le fruit de vingt ans de travail, rembobine Iris Crassee. C’est Alexey Kuzmenko, maître d’enseignement et de recherche au DPMQ, qui a eu l’idée de le créer en 2003. Son but était d’améliorer l’interprétation des courbes produites par les spectromètres, qui sont des appareils utilisés très couramment dans les laboratoires. Il voulait dépasser la simple identification de pics sur des graphes et extraire, à partir des données fournies par l’appareil, des informations qui pourraient être cachées mais qui représentent un grand intérêt. Il a donc développé un logiciel, appelé RefFIT pour Reflection FIT, et l’a mis immédiatement en ligne, en 2005, à la disposition de la communauté scientifique.»
Le principe d’un spectrographe est de mesurer de la lumière après qu’elle a interagi avec la matière. Le résultat permet de déterminer les caractéristiques du matériau en question, telles que l’identité des atomes qui le composent, les états d’excitation quantique, etc. Ce sont des données utiles pour la recherche et pour l’industrie, notamment pour le contrôle de la qualité et l’identification des matériaux.
Les logiciels existants qui analysent les données produites par les spectromètres sont souvent en retard par rapport aux équipements de plus en plus sophistiqués. Les méthodes sur lesquelles ils se basent sont longues et coûteuses à développer et elles nécessitent de grandes quantités de données de calibrage.

Interactions quantiques
Il est toutefois possible, théoriquement, de pousser l’analyse plus loin. La lumière qui est mesurée dans un spectromètre est en effet le produit d’une interaction très complexe de particules quantiques (les photons qui composent la lumière) avec d’autres particules quantiques (les électrons, notamment, qui appartiennent à la matière). Et si l’on comprend mieux ce qui se passe à ce niveau-là, il est possible de tirer davantage d’informations sur les propriétés du matériau. Mais pour cela, il faut un traitement théorique, essentiellement mathématique, très important. C’est ce que propose RefFIT.
Le logiciel est en effet basé sur des modèles mathématiques analytiques développés spécialement pour chaque type de matériau. Il peut s’agir d’un cristal multicouche, isotrope, etc. Les paramètres de ces modèles sont ajustables à l’aide d’une routine analytique unique. Au fil des années, le logiciel s’est développé pour inclure toujours plus de types de techniques optiques.
Les résultats obtenus par le spectromètre sont ensuite comparés à ceux qui sont calculés théoriquement à l’aide du modèle, ce qui permet de déduire toutes les caractéristiques recherchées. Il est possible d’ajouter n’importe quel autre modèle supplémentaire au logiciel, en fonction des besoins des utilisateurs, les possibilités n’étant limitées que par ce que la nature peut offrir. La version en ligne du logiciel en propose une demi-douzaine. Mais l’équipe en possède déjà une centaine d’autres, réservées à la version qui sera commercialisée.
Contrairement aux autres logiciels sur le marché, RefFIT permet une analyse des données en un clic et élimine le besoin de codes personnalisés ou de modèles statistiques complexes. Le temps de calibration est considérablement réduit et l’analyse des matériaux est plus rapide, plus précise et plus accessible. Au lieu de se contenter de déterminer la position et la hauteur d’un pic sur un graphe, RefFIT analyse sa forme, son étalement ou détermine s’il n’en cache pas un autre.
«Cette approche, unique, améliore l’efficacité de l’analyse des données, précise Iris Crassee. Mais elle étend aussi les applications possibles pour RefFIT dans la fabrication des matériaux, les semi-conducteurs, la photonique et le recyclage. Le tout sans que l’utilisateur ait besoin d’une formation spécialisée.»

Un avenir dans l’industrie
Le potentiel commercial de RefFIT ne devient un sujet de discussion sérieux qu’en 2018. C’est alors que les trois scientifiques se regroupent pour réfléchir à la suite à donner à une success story qui ne faiblit pas. Il faut dire que, depuis son lancement, le logiciel compte, bon an mal an, quelque 1400 nouveaux utilisateurs par an. Par ailleurs, avec plus de 400 000 spectromètres en fonctionnement dans le monde, le marché total est estimé à plus de 1 milliard de francs par an.
L’équipe décide donc alors de développer une version commerciale de RefFIT qui serait beaucoup plus facile d’utilisation et qui comprendrait également l’accès à tous les modèles de matériaux développés depuis vingt ans par les physiciennes et physiciens du DPMQ. En 2022, elle décroche une subvention Innogap (27 000 francs), le fonds de preuve-de-concept d’Unitec, le Bureau de transfert de technologies et de compétences de l’Université de Genève, auprès duquel elle a déposé une annonce d’invention. Et en 2023, elle se lance dans le programme d’aide au lancement des start-up organisé par Venture Kick et dont elle passe avec brio les trois étapes. La création formelle de la start-up RefFIT doit avoir lieu dans les prochaines semaines.
Les 150 000 francs reçus par Venture Kick serviront notamment à embaucher du personnel et à accélérer le développement de l’application en ligne dont le déploiement devrait avoir lieu en 2024. Le tout sera accompagné par la conception et la mise en place d’une stratégie marketing. L’enjeu consistant à identifier de nouveaux clients potentiels dans l’industrie et à les convaincre d’acheter leur produit. Les trois scientifiques ont également établi des contacts directement avec les fabricants de spectromètres. Une stratégie profitable serait évidemment que ces derniers proposent de vendre leurs appareils directement avec le logiciel RefFIT. L’équipe ne manque donc pas d’ambition. Elle a d’ailleurs l’intention de lever cette année 1 million de francs supplémentaire pour accélérer son développement.

 

 

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