12 février 2025 - Vincent Monnet
À Saqqara, un médecin sort de près de 5000 ans d’oubli
La campagne 2024 de la mission archéologique franco-suisse de Saqqara, co-dirigée par Philippe Collombert, a mis au jour, un peu par hasard, une tombe extrêmement bien conservée datant de l’Ancien empire.
La chambre funéraire du mastaba de Tetinebefou, médecin en chef du palais royal. Avec au fond, la niche abritant les vases canopes du défunt qui était à l’origine entièrement recouverte de feuilles d’or. Photo: DR
«C’est magnifique. En vingt ans de fouilles sur ce site, je n’avais jamais vu de choses aussi intactes et bien conservées que cette tombe-là.» Co-directeur de la mission archéologique franco-suisse de Saqqara et professeur au sein de l’Unité d’égyptologie et copte de la Faculté des lettres, Philippe Collombert peut avoir le sourire. Même si elle ne bouleversera pas les connaissances dont on dispose sur l’Égypte ancienne, la découverte faite par son équipe en décembre 2024 constitue en effet une rareté: une tombe de l’Ancien Empire (environ 2700 à 2200 avant notre ère), certes relativement modeste et vidée de la totalité de son matériel funéraire, mais dont le décor a échappé à l’usure du temps à la suite d’un improbable concours de circonstances.
Le propriétaire des lieux, dont le sarcophage et la dépouille ont disparu, se nomme Tetinebefou. Il a vécu sous le règne d’un successeur plus ou moins proche de Pépy Ier (2289 à 2255 av. J.-C.), aucun indice ne permettant une datation précise, et portait les titres de «doyen des médecins du palais royal», de «grand des dentistes», de «directeur des plantes médicinales», ainsi que «de prêtre et de magicien de la déesse Serket».
Chargé du système de soins de la région de Saqqara (une vaste nécropole située à une trentaine de kilomètres au sud du Caire), le médecin-magicien – les deux étant intimement liés au temps des pharaons – devait pratiquer la chirurgie non invasive, la dentisterie et un large éventail de traitements pharmacologiques comprenant notamment le traitement des piqûres d’animaux et d’insectes venimeux. Typiques des sépultures de cette époque, les décors qui ornent sa tombe ne donnent pas davantage de renseignements sur le personnage. Ils offrent en revanche un rare aperçu de la vie quotidienne et des pratiques culturelles de la période concernée.
Des décors très soignés
«On connaissait déjà une quinzaine de tombes du même type sur le site de Saqqara, précise Philippe Collombert. La plupart datent du règne de Pépy II, qui est une période assez troublée. Les éléments de décor qu’on y a trouvé ne sont pas très soignés. Ils sont réalisés uniquement à la peinture et tracés à la va-vite. Dans le cas de Tetinebefou en revanche, les motifs ont été gravés dans la pierre avant d’être colorés avec beaucoup de soin et un grand souci du détail, certaines mentions de son nom ne faisant pas plus de cinq millimètres de hauteur.»
Autre détail remarquable, le plafond de la pièce, dont la couche de peinture posée à même le calcaire reproduit les veines du granit rouge, ce qui suggère que Tetinebefou avait obtenu l’autorisation d’imiter cette matière noble d’ordinaire réservée aux tombes de l’élite.
Un travail d’orfèvre donc, dont la remarquable conservation tient au fait que les pilleurs qui ont visité la sépulture s’intéressaient uniquement aux objets précieux composant le matériel funéraire. Après l’avoir déplacé et s’être introduit sous la dalle protégeant le sarcophage du défunt et constituant le sol de la pièce, ils ont donc laissé intacte la fausse porte donnant accès au tombeau et n’ont pas touché non plus aux murs intérieurs de l’édifice. Les restes du mastaba ont ensuite été recouverts par un énorme bloc de pierre arrivé là on ne sait trop comment et qui a mystérieusement échappé à l’appétit des carriers, laissant la dernière demeure de Tetinebefou scellée jusqu’à l’arrivée de l’équipe des archéologues franco-suisses.