10 octobre 2024 - Anton Vos

 

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Certains organes vieillissent plus vite. La faute aux lésions cachées de l’ADN

Les cellules qui se divisent peu, comme celles du foie, accumulent des mutations dans les parties non codantes du génome, là où se trouvent les sites de démarrage de la réplication de l’ADN.

 

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À gauche: en rouge, les cellules hépatiques dont l’ADN est endommagé. À droite: en jaune, les cellules intestinales en prolifération, dont l’ADN n’est pas endommagé.
Image: UNIGE / UNIBE.

 

Le vieillissement des tissus est, en général, expliqué par l’accumulation de mutations génétiques dans les cellules. Cependant, certains organes, comme le foie et les reins, vieillissent plus rapidement que la peau ou les intestins, par exemple. Dans un article paru le 17 septembre dans la revue Cell, Thanos Halazonetis, professeur au Département de biologie moléculaire et cellulaire (Faculté des sciences), et ses collègues révèlent un mécanisme à même d’expliquer cette différence. Un mécanisme qui se cache dans la partie non codante du génome, c’est-à-dire les régions de l’ADN impliquées dans des processus de régulation ou d’organisation du génome mais qui ne contiennent pas de gène codant pour des protéines. Passant plus facilement inaperçues et échappant aux dispositifs de réparation de l’ADN, les dommages aléatoires qui surviennent dans ces régions «silencieuses» s’accumulent davantage que dans d’autres régions du génome. Les biologistes viennent de découvrir chez les souris que c’est également dans ces parties non codantes que sont localisés les «sites de démarrage de la réplication de l’ADN». Ceux-ci sont donc exposés à un risque accru de mutations aléatoires, surtout dans les tissus dits «à faible prolifération cellulaire», c’est-à-dire ceux dont les cellules se divisent très peu, comme celles du foie ou des reins, précisément. Ces dommages finissent par empêcher la réplication de l’ADN et donc la division cellulaire. Ce qui a pour conséquence de permettre une accumulation supplémentaire de mutations et d’accélérer le processus de vieillissement.

 

Lien non élucidé

Le vieillissement d’un organe est caractérisé par l’augmentation des cellules sénescentes, devenues incapables de se diviser et ayant perdu leurs fonctions. Les mécanismes qui contribuent à ce processus font l’objet de nombreux débats au sein de la communauté scientifique. Même s’il est largement admis que son origine se trouve dans les dommages causés au matériel génétique (ADN), qui s’accumulent avec l’âge, le lien entre les deux phénomènes n’est pas totalement élucidé.
L’ADN est en effet constamment agressé par des facteurs externes (radicaux libres, rayonnements…) et internes (liés aux activités métaboliques normales). Le nombre de lésions par cellule et par jour se compte en dizaines, voire centaines de milliers. Pour s’en prémunir, chaque cellule dispose de systèmes de réparation qui empêchent l’accumulation d’erreurs. Lorsque les mutations touchent les parties codantes, elles sont détectées dès que le gène en question doit être activé, puis réparées. Lorsqu’elles surviennent dans les parties non codantes, elles ne sont repérées qu’au moment de la division des cellules, qui nécessite à chaque fois la création d’une nouvelle copie du génome, via le processus de réplication de l’ADN.
Le renouvellement cellulaire n’intervient cependant pas à la même fréquence dans tous les types de tissus ou d’organes. Ceux en contact permanent avec l’extérieur, et donc davantage sujets à subir des dommages tels que la peau ou l’intestin, renouvellent leurs cellules plus souvent (1 ou 2 fois par semaine). Les organes internes protégés du monde extérieur tels que le foie ou les reins ne le font, quant à eux, que quelques fois par an.

Foie de souris

Pour en savoir plus, le groupe de Thanos Halazonetis, en collaboration avec des collègues de l’Hôpital de l’Île et de l’Université de Berne, s’est intéressé aux cellules du foie (hépatocytes) de souris in vivo qui, comme chez tous les mammifères, ne prolifèrent plus à l’âge adulte, à moins que l’organe n’ait subi une ablation partielle. Les scientifiques ont donc effectué une ablation des deux tiers du foie chez des souris jeunes et âgées afin d’en étudier les mécanismes de réplication directement dans l’organisme vivant.
L’expérience a permis, pour la première fois, de cartographier les sites de démarrage de la réplication de l’ADN dans des cellules du foie qui se régénèrent après ablation. C’est ainsi que les biologistes ont découvert que ceux-ci sont toujours localisés dans des régions non codantes. N’étant pas, contrairement aux gènes, soumises à un contrôle d’erreurs régulier, les cellules accumulent donc davantage de dommages au cours du temps. Chez de jeunes souris, ces mutations sont encore peu nombreuses et la réplication de l’ADN demeure possible. Par contre, chez des souris âgées, le grand nombre d’erreurs accumulées avec le temps déclenche un système d’alarme qui empêche la réplication de l’ADN. Ce blocage ne permet pas la prolifération des cellules et provoque la dégradation de leurs fonctions et la sénescence des tissus.

 

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