Originaire du Liban, Eliane Bou Khalil compte à son actif deux baccalauréats (libanais et français), une licence en traduction à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, suivie de deux masters en interprétation, l’un au Liban et l’autre à Genève. Le choix de la Suisse s’est imposé comme une évidence: «C’est Genève qui m’a choisie et non l’inverse», confie-t-elle. Capitale des organisations internationales, la ville lui a offert une immersion unique dans le secteur de l’interprétation professionnelle. Tout n’a cependant pas été de soi. Mais elle a su transformer ses échecs – comme l’examen pour un poste permanent à l’ONU – en autant d’expériences formatrices. «C’est en échouant qu’on réalise à quel point on aime ce métier», affirme-t-elle au final.
Un métier en constante évolution
À la question de savoir si l’intelligence artificielle va remplacer les interprètes, Eliane Bou Khalil est catégorique: «Notre métier, comme beaucoup d’autres, va changer. Mais nous nous adapterons.» Et si l’IA peut effectivement s’avérer un outil de travail efficace, aucune machine ne remplacera la finesse et la compréhension humaines essentielles à l’interprétation. Elle souligne de plus l’importance du langage corporel, du contexte et des subtilités culturelles que seule une personne peut appréhender correctement. «Une blague en français n’aura pas le même effet en arabe, et c’est l’interprète qui permet d’assurer cette transition culturelle.»
Pour Eliane Bou Khalil, l’adaptabilité reste la clé, chaque mission étant unique: «On ne s’ennuie jamais. Il n’y a pas une minute qui ressemble à une autre, c’est ce qui rend ce métier si passionnant.» Au fil du podcast, elle revient aussi sur l’importance de la culture générale dans son travail: «Un-e bon-ne interprète doit être curieux/euse. Il faut s’intéresser à ce qui se passe dans le monde pour ne pas être pris au dépourvu.» Cette capacité à jongler entre plusieurs langues et cultures s’accompagne d’une grande rigueur mentale. «En cabine, on doit être capable d’écouter, d’analyser et de parler en même temps, tout en restant neutre et fidèle au message de l’orateur/trice.»
Un équilibre entre rigueur et passion
Interpréter des discours peut parfois être une épreuve, surtout lorsqu’il s’agit de sujets sensibles. Face à certaines situations difficiles, Eliane Bou Khalil a dû rester professionnelle malgré ses émotions. «En tant que Libanaise, il y a récemment eu des moments où j’ai eu envie de pleurer derrière mon micro, confie-t-elle. Pour gérer ces situations, il s’agit de se rappeler son rôle: la meilleure manière d’être utile est de bien faire son métier.» Une philosophie qui lui permet de conserver la neutralité nécessaire à l’exercice de l’interprétation, même dans les moments les plus délicats.
Bien que passionnée par son métier, Eliane Bou Khalil ne cache pas la pression qui l’accompagne au quotidien: la fatigue mentale, la nécessité d’une concentration extrême et le besoin d’un soutien entre collègues. «On est toujours la voix de quelqu’un d’autre. À la fin de la journée, on a parfois juste envie de se taire.»
Malgré ces défis, elle insiste sur la satisfaction immense qu’apporte l’interprétation. «Ce métier nous oblige à rester humble. On peut briller pendant une demi-heure et se sentir dépassé-e la suivante.» Alors qu’elle s’apprête à repasser l’examen de l’ONU, son message est clair: «Quand on aime un métier, il faut s’accrocher. S’il faut que je le repasse 10 fois, je le repasserai 10 fois.» Une leçon de persévérance et de passion qui résonne bien au-delà du monde de l’interprétation.
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