16 novembre 2023 - Alexandra Charvet

 

Vie de l'UNIGE

Décoder nos interactions sociales

Un nouveau MOOC décrypte les processus mentaux impliqués dans les interactions sociales chez l’être humain. La formation combine une approche pédagogique interactive avec des activités et des exercices variés.


Vous entrez dans un café bondé. Malgré la foule et la quantité gigantesque de stimuli visuels auxquels vous êtes exposé-e, vous repérez immédiatement vos ami-es. Les processus cérébraux qui permettent cette prouesse sont au cœur du nouveau MOOC «Cognition sociale», proposé depuis cet automne par la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation.

Cette formation de douze heures, qui a déjà attiré près de 500 participant-es, offre un panorama global des connaissances actuelles sur les processus psychologiques qui sous-tendent les interactions sociales et permet de comprendre les mécanismes clés de la psychologie humaine en contexte social*. Décodage avec Nicolas Burra, maître d’enseignement et de recherche à la Section de psychologie et fondateur du laboratoire en cognition sociale expérimentale ESClab.


LeJournal: Repérer des ami-es dans une foule semble a priori une opération facile. Comment est-ce que cela fonctionne?
Nicolas Burra:
Dans un premier temps, il faut distinguer des visages parmi un ensemble extrêmement important d’informations visuelles et il se trouve que notre cerveau est précâblé pour détecter principalement les formes qui y ressemblent. C’est vraiment l’une des particularités de notre système cérébral: celui-ci possède des régions au niveau du cortex fusiforme qui sont dédiées à la perception des visages et à la reconnaissance des identités faciales. Une compétence cruciale du point de vue de l’évolution, car il est nécessaire de pouvoir rapidement détecter des visages et reconnaître leur identité afin de déterminer si l’on fait face à un-e ami-e ou à un-e ennemi-e. Une personne qui souffre de prosopagnosie – un trouble neurologique caractérisé par l’incapacité à reconnaître l’identité des visages – voit ses interactions sociales devenir rapidement très compliquées.

 

Pourquoi?
Le MOOC propose notamment le témoignage d’une patiente atteinte de ce trouble. Elle parle des difficultés de sa vie quotidienne, en donnant des exemples, comme celui où, au cours d’une croisière, une personne la regardait de manière insistante alors qu’elle prenait un bain de soleil. Très en colère, elle lui demande d’arrêter alors qu’il s’agissait de son mari… C’est la même chose en soirée et à chaque fois qu’elle rencontre une personne: il faut lui rappeler qui est cette dernière.

 

Comment notre cerveau décode-t-il les émotions d’autrui?
Dans le cadre de ce MOOC, on s’intéresse aux émotions mais surtout à la compréhension des intentions des autres. Celle-ci se base principalement sur notre aptitude à attribuer des états mentaux aux autres – c’est-à-dire la capacité d’inférer-imaginer ce que les autres peuvent penser – ainsi que sur des indices sociaux, dont l’un des plus importants est les yeux. Mais il y a aussi le mouvement, les expressions du visage... Toutes sortes d’informations qui vont nous permettre d’imaginer ce que l’autre pense. Dans le module du MOOC qui traite de cette question, on s’intéresse à la manière dont le cerveau est structuré pour percevoir et traiter les informations sociales. La question est de savoir s’il existe réellement un «cerveau social» ou si celui-ci est basé sur différentes fonctions cérébrales existantes qui s’activeraient principalement dans des situations sociales.

 

Pourquoi utilise-t-on les yeux pour comprendre les autres?
De par leur morphologie, les yeux sont très visibles, même de loin. Dans les dessins animés, on représente d’ailleurs souvent les personnes dans le noir uniquement par leurs yeux. Cette caractéristique semble être propre à l’être humain, le seul grand mammifère à avoir des yeux aussi contrastés. Cela permet une meilleure perception et un meilleur traitement de cette partie du visage. Reste à savoir si l’on est social parce que nos yeux sont saillants ou si nos yeux sont plus saillants parce que l’on est social…

 

Est-ce que la capacité à attribuer des états mentaux peut s’entraîner?
Avec l’aide d’une de mes étudiantes, nous nous penchons actuellement sur les possibilités de la psycho-éducation. Celle-ci vise à augmenter les capacités d’une personne en expliquant les concepts et les processus de la cognition sociale, soit l’ensemble des processus cérébraux qui permettent de percevoir, d’interagir et de réagir face au comportement des autres. Même si rien n’a été établi pour le moment, nous sommes persuadé-es que communiquer et discuter de ces questions est la clé pour que les gens puissent mieux se comprendre, d’où l’idée de ce MOOC. Il est nécessaire d’avoir conscience que notre interlocuteur/trice n’est pas dans notre tête, ne comprend pas totalement ce que nous avons à l’esprit et qu’il nous faut le communiquer d’une manière ou d’une autre.

 

Le MOOC aborde l’importance du contexte culturel sur le cerveau. Qu’en est-il?
Le dernier module du cours est en effet consacré à la cognition interculturelle, soit l’idée que le système cérébral, même s’il est câblé de manière similaire chez tous les êtres humains, est impacté par l’environnement, ce qui crée des différences au niveau perceptif, des disparités de la représentation du soi ou encore des variations dans les modalités de coopération et de collaboration. Un exemple parlant est l’effet d’ethnicité: les personnes entourées d’un certain type de visages ont des difficultés à reconnaître des visages d’une forme ou d’une structure autre. Face à des personnes d’origine asiatique par exemple, une personne élevée dans un environnement caucasien présentera des difficultés dans la reconnaissance des identités. L’environnement forge ainsi notre manière de percevoir, mais aussi notre manière d’interagir avec les autres.

 

C’est-à-dire?
Un exemple d’interaction est l’attention portée au regard et au contact visuel. Dans les cultures occidentales, c’est un signe d’approche et de respect: on se regarde dans les yeux quand on trinque par exemple. Alors que dans les cultures asiatiques, il est plutôt impoli de fixer une personne. Cela peut mener à de fortes incompréhensions.

* Ce cours sera proposé, au semestre d’automne sous forme de SPOC (small private online course), aux étudiant-es de psychologie et de Virtual Exchange, et sera centré sur la création d’épisodes de podcast sur le sujet.

 

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