10 avril 2025 - Yann Bernardinelli

 

Vie de l'UNIGE

«Dans notre monde, la connectivité est un moyen d’inclusion»

L’UNIGE, en collaboration avec Giga, une initiative conjointe de l’Unicef et de l’Union internationale des télécommunications, lance le Giga Research Lab afin d’accélérer les efforts mondiaux pour connecter les écoles et les jeunes à internet.


 

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Giga a déjà aidé à connecter plus de 24’000 d’écoles, ce qui a touché environ 11 millions d’élèves dans le monde. Image: Boijonell

 

La connectivité à internet est une porte ouverte sur les connaissances humaines, un incontournable outil éducatif. Mais près de la moitié des écoles à travers le monde n’y ont toujours pas accès, soit 3 millions d’établissements scolaires et 500 millions d’élèves. Pour ces enfants, la non-connectivité représente une véritable mise à l’écart du monde. À commencer par leur propre communauté. Pour ne rien arranger, les écoles, et leurs élèves, les moins connectées sont principalement localisées dans les régions les plus pauvres du globe, mettant un frein supplémentaire à leur développement économique. La recherche menée au Giga Research Lab (GiRL) vise à répondre à cet enjeu en fournissant des données probantes pour éclairer la mission de Giga, qui est de raccorder toutes les écoles du monde à Internet d’ici à 5 ans. Entretien avec Tina Ambos, professeure à la Geneva School of Economics and Management (GSEM) et directrice de son Center for Innovation & Partnerships, partie prenante du GiRL.

 

Le Journal: Quelles sont les conséquences pour ces enfants déconnecté-es?
Tina Ambos:
Le spectre des inégalités est très large. On observe que les enfants déconnecté-es sont plus exposé-es aux risques en matière de santé, d’identité, d’égalité des genres, d’éducation et de capacité à trouver des emplois plus tard.

 

Pourquoi viser les écoles en particulier?
Les écoles sont le point d’accès à l’éducation, mais aussi à la communauté. Et ce, spécialement dans les zones rurales et isolées du Sud global. Si vous connectez les écoles, c’est toute la communauté qui obtient l’accès à Internet, par exemple le centre de santé du village. Une école, c’est aussi un environnement neutre, qui n’est ni une entreprise ni le gouvernement.

 

Être connecté est donc important pour toutes les communautés, quelle est la situation mondiale au-delà de l’enfance?
Il y a actuellement environ 2,6 milliards de personnes vivant sans connexion dans le monde. La majorité sont des femmes, selon une étude de l’Union internationale des télécommunications (UIT) datant de 2023. Cela engendre des inégalités considérables pour les femmes qui font face aux même problématiques d’exclusion que les écoliers et écolières.

 

Peut-on faire quelque chose pour améliorer cet état de fait?
Oui, mais la tâche est complexe et demande une approche multidisciplinaire rigoureuse, basée sur des observations et une analyse du terrain. L’idée est d’abord de répertorier et de localiser les écoles puis de vérifier l’état de leur connexion, quand il y en a une. Ensuite, il faut parvenir à identifier les multiples barrières pour modéliser une action qui englobe les fournisseurs de l’infrastructure, les entreprises du secteur public et privé, les responsables politiques et les investisseurs/euses pour assurer la connectivité. Cette modélisation permettra d’agir concrètement et d’aider les gouvernements à mettre en place la connectivité. La réponse implique donc une composante scientifique avec des disciplines telles que le management, l’économie ou encore le droit, une composante technologique avec le développement de solutions numériques sur mesure et, finalement, des interactions avec les acteurs et actrices de terrain, que ce soit les ONG, les organisations internationales, les politiques, les citoyens et citoyennes, ou encore des entreprises privées.

 

Et c’est justement tout l’objectif de Giga et de son laboratoire de recherche. Pouvez-vous nous dire de quoi il s’agit?
Avec un centre technologique basé à Barcelone en Espagne et un siège à Genève, Giga est le fruit d’un partenariat unique, créé en 2019, entre deux organisations internationales: l’Unicef et l’UIT. L’Unicef assure le respect du droit à l’éducation des enfants et l’UIT s’occupe du développement technologique. Dès le début, une collaboration avec le Center for Innovation & Partnerships du GSEM de l’UNIGE a été instaurée. L’idée est d’apporter les activités de recherche pour catalyser l’innovation, développer des partenariats entre les organisations du secteur privé et du secteur public, et contribuer au partage de connaissances et des compétences grâce à l’écosystème genevois, riche en organisations internationales, ONG, multinationales et ambassades d’État. Cette collaboration a donné naissance au Giga Research Lab.

 

Quelle est la contribution concrète de l’Université?
Nous travaillons sur trois axes: la recherche sur les enjeux de connectivité, l’engagement des étudiants et étudiantes dans des projets concrets, et la création d’un écosystème d’innovation à Genève autour de ces questions. L’objectif est de construire un pont entre la recherche académique et la pratique. Nous produisons notamment des études de cas et des publications scientifiques, des collaborations avec des programmes de master, des débats sur l’innovation ou encore des hackathons. On organise également des réunions pour impliquer les personnes influentes et l’écosystème dans son ensemble, car connecter toutes les écoles n’est possible que si tout le monde travaille ensemble. Giga a déjà cartographié plus de 2,13 millions d’écoles dans 142 pays et aidé à connecter plus de 24’000 d’entre elles, ce qui a touché environ 11 millions d’élèves dans le monde. Le partenariat avec l’UNIGE vise à renforcer cet impact.

 

La connectivité est indissociable de l’accès aux réseaux sociaux et à l’intelligence artificielle, deux technologies qui sont la cible de propagandes politiques. N’est-ce pas jeter les écoliers et écolières dans la gueule du loup que de vouloir les connecter?
Manifestement, l’actualité nous le rappelle trop souvent. Mais quelle est l’alternative? Des personnes déconnectées, laissées totalement isolées des connaissances qui sont les bases fondamentales du développement social? Une partie de notre travail consiste à mieux comprendre la relation entre la connectivité et le développement afin d’identifier les situations dans lesquelles la connectivité est aidante et ce qui peut être amélioré, contesté, quand elle ne l’est pas. Ce qu’il faut comprendre, c’est que dans notre monde, la connectivité est un moyen d’inclusion. Il y a cette énorme division entre garçons et filles par rapport à l’accès à l’éducation. C’est aussi la raison pour laquelle l’abréviation du Giga Research Lab est «GiRL». Il s’agit de lutter contre les inégalités, celles de genre en étant le symbole.

 

In fine, le but du GiRL est de construire le monde numérique de demain, à quoi ressemblera-t-il?
À un monde dans lequel l’accès aux technologies en général et la productivité qui vient avec seront démocratisés. Les technologies, notamment l’IA, ont la capacité de donner à tout le monde des droits similaires. Mais il existe également des défis, éthiques comme éducatifs. C’est vrai pour les enfants, mais aussi pour l’économie, car la connectivité coûte plus cher dans les zones du globe qui en ont le plus besoin. Lutter contre les inégalités économiques entre les pays en matière de coûts, c’est permettre aux pays désavantagés de se développer plus aisément et aux personnes de s’émanciper.

 

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