14 mars 2024 - Melina Tiphticoglou

 

Vie de l'UNIGE

«Une université a besoin de profils variés»

Enseigner, répondre aux questions des médias, transmettre le goût de la science aux plus jeunes: les carrières scientifiques ne se cantonnent pas à la recherche. Cette réalité intègre petit à petit les processus de recrutement, notamment par le biais de C.V. narratifs. Un événement aborde le sujet en Faculté des sciences.

 

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Répondre aux questions des médias fait aussi partie du travail des chercheuses et des chercheurs. Ici, Camille Bonvin, professeure associée au Département de physique théorique (Faculté des sciences), dans le studio de l'émission radio La Matinale (RTS).


Le quotidien d’une ou d’un scientifique ne se résume pas à la recherche. Quantité d’activités alimentent une carrière académique: l’enseignement, la transmission au public, la prise de fonctions dirigeantes au sein de l’institution, mais aussi le mentorat, le contrôle de la qualité, le développement d’instruments innovants ou encore le conseil aux politiques. Toutes requièrent des compétences particulières. Or, cet aspect multidimensionnel n’est pas visible dans une bibliographie scientifique (titres, nombre de publications, facteurs d’impact associés…), bien que l’évaluation des chercheuses et des chercheurs s’appuie principalement sur celle-ci.

 

Depuis plusieurs années, des voix s’élèvent pour critiquer cette façon réductrice de mesurer la qualité d’une chercheuse ou d’un chercheur, et le phénomène s’est intensifié dans le contexte de l’open science, dont les journaux ont un faible facteur d’impact. «La Déclaration de San Francisco sur l'évaluation de la recherche (DORA), qui s’oppose aux facteurs d’impact des revues, a été publiée il y a près de dix ans, explique Bert Overlaet, professeur à la KU Leuven. Depuis lors, de nombreux débats ont eu lieu et des recherches ont montré qu’il s’agissait de critères d’évaluation totalement inadaptés, mais personne n’a discuté des alternatives possibles.» Le professeur belge est l’auteur principal d’un article publié par la League of European Research Universities (LERU), ce réseau de 24 universités de recherche européennes de premier plan auquel appartient l’UNIGE, dans lequel il dresse des pistes pour faire évoluer les processus de recrutement.
 
Qualité plutôt que quantité
Signe que les temps changent malgré tout, le Fonds national suisse (FNS) a introduit à l’automne 2022 un nouveau format de C.V. standardisé. Dit narratif, ce nouveau curriculum doit permettre aux chercheuses et aux chercheurs de présenter leurs contributions scientifiques les plus importantes sous forme de brefs récits en combinaison avec un nombre limité de résultats de recherche. Les paramètres relatifs aux publications, tels que les facteurs d'impact, ne sont plus utilisés pour évaluer la qualité des articles de recherche. De plus, l’âge académique remplace l’âge biologique et correspond au temps effectivement consacré à la recherche, déduction faite des interruptions et des activités de nature non scientifique. D’après le FNS, cette approche devrait faciliter les comparaisons entre requérant-es, promouvoir l’égalité des chances et accroître la visibilité accordée aux travaux autres que les publications. À l’UNIGE, pour le moment, seule la Faculté de médecine, à l’initiative de la vice-doyenne Martine Collart, exige un C.V. narratif pour ses postulations.
 
La Faculté des sciences, sous l’impulsion de sa doyenne Costanza Bonadonna en poste depuis juillet 2023, souhaite également intégrer ces changements de paradigme. Concrètement, un atelier intitulé «LERU into Action» s’appuiera sur la publication de Bert Overlaet pour mener une réflexion sur l’évaluation des scientifiques, et servira de base à un plan d’action pour le décanat. Ouvert aux professeur-es et aux enseignant-es de la Faculté, sur inscription, l’événement se tiendra le mardi 19 mars, en anglais, au Scienscope. Il sera notamment ponctué par les contributions de Bert Overlaet, de Liz Simmonds, responsable de la culture de recherche à l’Université de Cambridge, et de Martin von Arx du FNS, avant une table ronde en présence de Martine Collart. Un atelier en petits groupes conclura cette demi-journée de réflexion. «Nous nous focaliserons sur les processus de recrutement et examinerons comment introduire une appréciation de la multidimensionnalité en menant une analyse stratégique des forces, faiblesses, opportunités et menaces (SWOT)», explique Enrica Bordignon, vice-doyenne de la Faculté.
 
Assurer l'excellence scientifique, mais pas que
«L’excellence scientifique continuera d’être valorisée et évaluée», répond la vice-doyenne aux craintes formulées par certain-es. «Il n'y a pas à choisir entre l’excellence et la diversité. Au contraire, pour atteindre l’excellence, une université a besoin de profils variés: de bon-nes enseignant-es, de bon-nes gestionnaires, un bon recteur ou une bonne rectrice. Il convient donc de s’assurer que ces contributions sont reconnues et valorisées. Intégrer une appréciation de la multidimensionnalité dans les processus de recrutement devrait permettre de créer un environnement de recherche stimulant, plus efficace, plus durable, avec moins de conflits.»
 
Si l’atelier «LERU into Action» du 19 mars s’avère fructueux, la Faculté des sciences envisage de répéter l’expérience avec d’autres publications de la LERU, ayant trait par exemple à l’open science, à la diversité ou à la supervision des doctorats. La vice-doyenne note, en effet, que de nombreuses déclarations et publications de grande qualité qui mériteraient d’être implémentées à l’UNIGE sont émises au sein de ce réseau académique.

 

LERU INTO ACTION – Shaping the recruitment process through multidimensionality

Conférences, table ronde, atelier et apéritif
Mardi 19 mars, 14h-18h30 | Scienscope

En anglais, sur inscription (jusqu'au vendredi 15 mars)

 

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