22 février 2024 - Melina Tiphticoglou

 

Vie de l'UNIGE

Afrique: comment changer de formule pour aimer les maths

Durant trois ans, le projet de recherche EnTIRe a contribué à stimuler la recherche et à modifier la conception des mathématiques dans neuf pays africains. La discipline y est souvent perçue comme l'une des matières les plus difficiles et frustrantes, alors qu’elle pourrait être un atout pour le développement du continent.
 

 

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Une classe élémentaire enrichie de ressources mathématiques. Photo: SAMI


Tout a commencé en 2016, lorsque Danilo Lewański, doctorant à l’Université d’Amsterdam, participe en tant que volontaire à un camp de mathématiques en Tanzanie avec l’association britannique Supporting African Maths Initiatives (SAMI). Conquis par le concept, il multiplie les expériences en Afrique subsaharienne, puis rejoint le comité directeur de l’association, tout en poursuivant sa carrière académique qui le mène, en 2021, à la Section de mathématiques de l’UNIGE et au Pôle national de recherche SwissMAP.

 

Dans l’équipe de Marcos Mariño au SwissMAP, il dirige le projet EnTIRe, financé par une bourse Ambizione du FNS de quatre ans. Dans ce cadre, non seulement il effectue de la recherche en mathématiques pures, mais il conduit aussi des projets de vulgarisation dans neuf pays (Kenya, Éthiopie, Ghana, Togo, Bénin, Tanzanie, Rwanda, Ouganda, Cameroun). «En Afrique, explique le chercheur, les mathématiques sont souvent considérées comme l’une des matières les plus difficiles et les plus frustrantes à l’école, aussi bien pour les élèves que pour les enseignant-es, alors qu’un nombre croissant de carrières professionnelles dans la réalité africaine requièrent des compétences en mathématiques. Notre objectif est de combler les lacunes en matière d’éducation.» À cette fin, quatre projets, qui touchent des personnes de tous les âges, de l’école élémentaire à l’université, ont été menés en collaboration avec l’association SAMI, l’entreprise sociale Idems International et des partenaires locaux.

Environnement propice à l'apprentissage
Le projet «Happy classrooms» consiste à repeindre les murs d’écoles élémentaires en les couvrant de ressources mathématiques, telles que des formes géométriques ou des tables de multiplication, avec lesquelles les jeunes enfants sont en contact direct. Ces ressources s’accompagnent d’une application que les enseignant-es peuvent utiliser pour concevoir des activités à mener en classe. Quinze salles kényanes ont ainsi pu être repeintes et enrichies grâce au projet EnTIRe. Si l’impact à long terme est difficile à mesurer, un changement d’attitude à l’égard des mathématiques a rapidement pu être observé, grâce à cette approche concrète et visuelle de la matière.

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Classe de l'école primaire de Kurutyange (Kenya) avant réfection. Image: SAMI, Idems International

Les camps de maths, quant à eux, s’adressent aux élèves du secondaire (13-19 ans): 60 à 80 jeunes, issu-es des lycées de tout le pays, y participent dans un environnement égalitaire. Ces événements sont conçus et menés par des équipes mixtes de mathématiciennes et mathématiciens locaux et internationaux. «Durant une semaine, nous vivons ensemble en pratiquant des maths du matin au soir, explique Danilo Lewański. Des branches et des sujets difficiles, tels que la géométrie, la topologie, l’algèbre, la programmation, l'épidémiologie, la cryptographie ou la physique expérimentale, sont abordés par le jeu. Nous ciblons l’esprit critique et la capacité à résoudre des problèmes des jeunes, en les défiant avec des énigmes ou des puzzles. Nous proposons aussi des activités sportives, dans lesquelles les maths sont impliquées. Il règne une très bonne ambiance lors de ces camps: l’amitié se développe en cours de semaine et, à la fin, nous ne voulons plus nous quitter.»

Ces activités avaient initialement été envisagées pour les instituteurs/trices qui en auraient ensuite fait profiter leurs élèves. Avec des ratios d’un-e enseignant-e pour 100 élèves, l’impact aurait très vite pu être immense. Mais c’était compter sans des freins sociaux insoupçonnés. «Nous avons constaté que les enseignant-es n’écoutaient pas les personnes plus jeunes, ce qui est souvent le cas des volontaires, commente Danilo Lewański. Pour faire face à ce défi, nous avons donc organisé des camps pour les jeunes, tandis que les enseignant-es étaient invité-es à être présent-es aux côtés de leurs élèves. Nous transmettions ainsi aux adultes cette manière d’enseigner si différente de la leur, qui repose presque entièrement sur l’apprentissage par cœur.»

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Activité durant le camp de maths de Taita au Kenya. Image: Sami, Idems International

Autonomisation du savoir
Au niveau universitaire, les professeur-es font face à des conditions d’enseignement difficiles, avec des classes comptant jusqu’à 1000 étudiant-es. «À l’Université de Maseno dans l’ouest du Kenya, la salle de cours rassemble quatre classes en même temps, relate Danilo Lewański. Dans ces conditions, il est impossible de connaître ses élèves, de corriger leurs exercices chaque semaine, et il devient difficile de mener sa recherche. L’idée, lancée par Idems International, est alors de recourir à un logiciel qui permette aux étudiant-es de s’exercer de manière autonome.»

Stack (System for Teaching and Assessment using a Computer algebra Kernel), le logiciel en question développé par le professeur Chris Sangwin de l’Université d’Édimbourg, permet une évaluation assistée par ordinateur. Le programme produit des questions aléatoirement et donne la possibilité aux étudiant-es d’obtenir un retour personnalisé et de s’exercer autant que nécessaire. Quant aux enseignant-es, l’accès à des statistiques leur permet d’adapter leurs leçons en fonction des performances de leurs élèves. «Grâce au projet EnTIRe, nous avons pu développer des cours pour sept institutions africaines, auxquelles des dizaines de milliers de personnes sont rattachées. Les étudiantes et étudiants utilisent leur smartphone pour s’exercer en petits groupes sur le campus qui leur fournit la connexion internet. Les enquêtes montrent que les classes qui utilisent ce programme ont de meilleurs résultats.» À noter que le projet EnTIRe intervient aussi dans le domaine de la recherche via le Groupe de recherche sur l’algèbre en Afrique de l’Est (EAALG).

 

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