LeJournal: Dans quel contexte es-tu arrivé à l’UNIGE?
Rufael Tesfay Gebremichael: À la suite de mon master, j’ai travaillé en tant que chargé de projets et de mobilisation de la communauté dans plusieurs organisations internationales. Puis j’ai eu envie de poursuivre mon parcours académique et d’améliorer mes connaissances. J’ai donc postulé pour un doctorat à l’Université de Mekele. Mais en 2020, la guerre a éclaté et tout s’est arrêté. Comme tout le monde, j’ai dû me battre pour survivre. Il n’y avait plus d’électricité, plus d’institutions bancaires, rien. Je ne sais pas comment expliquer cela – le Tigré a été complètement assiégé. Un de mes anciens professeurs m’a alors aidé à trouver une bourse de la Fondation Gerda Henkel et m’a mis en relation avec plusieurs personnes à l’UNIGE, dont un doctorant. Ce dernier m’a apporté, et m’apporte encore, un énorme soutien dans tout ce processus. Il m’a notamment présenté à un professeur en sciences de la société qui m’a conseillé de suivre le Master en Innovation, Human Development and Sustainability avant d’entamer un doctorat. À partir de là, j’ai été mis en relation avec le programme Horizon académique, et tout s’est enchaîné.
Comment s’est déroulé ton départ?
En partant, je n’arrivais pas à croire que c’était réel. J’avais eu écho d’expériences très négatives liées à l’obtention de visas. Heureusement, les choses se sont bien passées dans mon cas. Lorsque je suis arrivée à l’ambassade de Suisse en Éthiopie, le personnel m’a très bien accueilli. J’appréhendais également mon passage à l’aéroport. La plupart du temps, les Tigréen-nes qui essaient de quitter le pays se retrouvent en prison. Mais j’ai passé le contrôle de sécurité sans encombre.
Et ton arrivée à Genève?
Les premiers jours, j’ai été un peu submergé: c’était la première fois que je mettais les pieds dans un autre pays. Je marchais pendant des heures dans la ville parce que je ressentais le besoin de m’acclimater à l’ambiance. Je pensais aussi beaucoup à ma famille, restée au Tigré. À Genève, j’ai dû faire face à de nombreuses démarches administratives, notamment avec les banques. Mais j’ai eu la chance d’avoir un cercle de personnes bienveillantes autour de moi qui m’ont soutenu dans tout ce processus. Horizon académique continue d’ailleurs à me soutenir, que ce soit lors de permanences 2 fois par semaine ou au niveau personnel avec des délégué-es.
Quel est ton statut à l’Université?
Pour l’instant, je suis les cours en tant qu’auditeur Horizon académique, mais dès le semestre prochain, je serai enregistré en tant qu’étudiant ordinaire. Je suis également des cours de français organisés par la CUAE et dispensés par des étudiant-es. À côté de cela, j’apporte à mon tour un soutien à d’autres étudiant-es tigréen-nes qui arrivent à l’UNIGE. Je suis par ailleurs engagé dans des organisations d’aide actives au Tigré, et je travaille depuis Genève sur des projets de communication afin de visibiliser cette région et la crise que ses citoyen-nes subissent.
Quel élément t’a le plus marqué en arrivant en Suisse?
Il y en a eu beaucoup, mais l’une des expériences les plus marquantes fut de constater à quel point les citoyen-nes respectent les règles. Pour moi, l’un des exemples les plus parlants, ce sont les passages piétons. Devant un feu rouge, même s’il n’y a aucune voiture aux alentours, les gens attendent. Chez moi, cela ne se passe absolument pas comme ça. Cette anecdote peut paraître très simple, et fait souvent sourire lorsque je la raconte. Mais il s’agit de bien plus que d’un simple feu rouge: respecter les règles, c’est le premier pas pour créer une cohésion sociale, une base commune qui permet de cohabiter dans la paix.
Comment envisages-tu ton futur?
J’ai plein de projets. Mon plus grand rêve, c’est d’être en mesure d’apprendre et de développer le plus possible de connaissances ici, à Genève, afin de pouvoir aider à reconstruire le Tigré. Beaucoup d’organisations humanitaires sont actives sur le continent africain. Et même si elles apportent une aide précieuse, cette dernière est souvent limitée dans le temps et touche des personnes individuellement. La faim est toujours là, la pauvreté aussi. J’aimerais contribuer à l’établissement d’actions de développement concrètes et systémiques – une paix durable pour les générations futures. Et j’aimerais aussi aider mon peuple à comprendre qu’ensemble, nous pouvons faire face à la crise et nous reconstruire pacifiquement.