27 juin 2024 - Melina Tiphticoglou

 

Vie de l'UNIGE

Une nouvelle Law Clinic au service des biens culturels

La Faculté de droit introduit un nouvel enseignement pratique. Dès la rentrée de septembre, la première édition de la Law Clinic en droit des biens culturels auscultera la loi sur le transfert des biens culturels afin de rédiger un document destiné à un large public.


 

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La conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider et le vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères de la République d’Irak Fouad Hussein, à l'occasion de la restitution par la Suisse de trois biens culturels archéologiques, le 24 mai 2024. Photo: D. Uldry/OFC


Le mois dernier, la Suisse restituait une statue et deux reliefs à la République d’Irak. Ces objets archéologiques d’une grande importance avaient été confisqués à Genève dans le cadre d’une procédure pénale pour infraction à la loi sur le transfert des biens culturels (LTBC). Le prévenu avait été condamné par le Tribunal de police du Canton de Genève pour transfert de biens culturels volés ou pillés et pour faux dans les titres. Ces trois témoins de l’histoire mésopotamienne viennent allonger une liste de quelque 6800 biens culturels rendus par la Suisse à leur pays d’origine depuis l’entrée en vigueur de la loi, en 2005.

 

«L’année prochaine marquera les 20 ans de la LTBC, pointe Antoinette Maget Dominicé, professeure de droit commercial et cotitulaire de la chaire Unesco en droit international des biens culturels. Même si cette loi a été largement relayée lors de son entrée en vigueur, elle reste relativement méconnue en dehors du cercle très fermé des juristes suisses et de quelques juristes spécialisés. D’une part, en raison de la langue, puisqu’elle est commentée essentiellement dans les langues administratives suisses et, d’autre part, en raison des complexités de son application.»

Marqueurs d'identité
Témoins tangibles de la culture et de l’histoire d’une région, les biens culturels sont des marqueurs d’identité pour les individus et les communautés. Ils contribuent à façonner la perception collective d’une société et à renforcer sa cohésion. Afin de rendre plus accessibles les questions juridiques en lien avec ces objets si particuliers, la Faculté de droit lance la première Law Clinic en droit des biens culturels. Elle s’ajoute à la Law Clinic sur les droits des personnes vulnérables qui existe depuis 2013 et a déjà donné lieu à une dizaine de publications. Pour rappel, les cliniques juridiques sont des enseignements pratiques qui associent les connaissances théoriques et leur application sur le terrain.

Ainsi, de septembre 2024 à mai 2025, un petit groupe d’étudiant-es examinera la LTBC et les problématiques qu’elle soulève. Avec l’une des plus fortes densités de musées au monde et de nombreuses collections privées, la Suisse est un haut lieu d’exposition et de commerce d’art au niveau mondial. Elle se doit d’avoir une réglementation claire en matière d’échange de biens culturels et c’est le rôle de la LTBC, qui constitue la mise en œuvre en Suisse de la Convention Unesco 1970. À ce titre, la loi règle l’importation en Suisse, le transit, l’exportation, le retour ainsi que le transfert des biens culturels qui se trouvent dans le pays. Elle impose notamment, sous peine de contravention, un devoir de diligence dans le commerce de l’art et dans les ventes aux enchères, et interdit tout transfert de biens culturels volés ou pillés.

«Afin d’acquérir une vue d’ensemble, les participant-es de la Law Clinic rencontreront de nombreux intervenant-es, détaille Anaïs Bayrou, assistante et doctorante en droit. Des personnes actives dans le domaine législatif ou dans la recherche, des représentant-es étatiques ou d’organisations internationales, des professionnel-les de musées ou du marché de l’art se succéderont tout au long du premier semestre. Des cours de méthodologie, des recherches jurisprudentielles et bibliographiques ainsi que des ateliers de rédaction compléteront le programme.» Un guide juridique sera ensuite rédigé à destination d’un public principalement étranger confronté, par exemple, à un litige autour d’un bien culturel. Sa publication, en français et en anglais, sera accompagnée de différentes initiatives de médiation, avec l’organisation notamment d’un workshop de reddition des travaux.

Biens au passé problématique
En ce qui concerne les années à venir, la Law Clinic en droit des biens culturels souhaiterait collaborer avec une collection extérieure à l’UNIGE. Les étudiant-es pourront être amené-es à analyser les différents mécanismes d’acquisition des objets (vente, dons, legs, acquisition sur la base d’un fonds dédié, objet dont on n’arrive plus à reconstituer l’acquisition, etc.) afin de rédiger un aide-mémoire à l’usage des institutions culturelles suisses. «De plus en plus d’expositions questionnent la trajectoire des biens culturels montrés, rapporte Antoinette Maget Dominicé. Or, l’utilisation des termes est souvent impropre: on parle de séquestre là où il s’agit d’une saisie, de don au lieu de legs, etc. Nous souhaitons développer ce travail interdisciplinaire et contribuer à la présentation plus précise de ce que sont les différentes transactions juridiques.»

La Law Clinic souhaiterait également à terme s’intéresser au travail des différentes commissions occidentales auxquelles est confiée la tâche de rendre des avis quant à la potentielle restitution de biens culturels au passé problématique. Le travail de la toute récente Commission indépendante pour le patrimoine culturel au passé problématique (dont l’ordonnance est entrée en vigueur le 1er janvier 2024) permettra de se pencher sur la situation en Suisse, sous un angle comparatif. Le travail des étudiant-es pourrait alors déboucher sur la rédaction d’un vade-mecum pour les personnes concernées expliquant par exemple comment saisir cette commission ou déposer un dossier. «La Law Clinic s’intègre dans les activités de la chaire Unesco en droit international des biens culturels, précise Antoinette Maget Dominicé. À ce titre, elle a aussi l’ambition de contribuer à renforcer et à développer le vivre-ensemble pour que, par les biens culturels, certains groupes, de confession ou d’origine variées notamment, puissent être plus largement inclus.»

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