23 janvier 2025 - Manon Voland

 

Vie de l'UNIGE

Cinquante ans d’études arméniennes à Genève

Le Centre de recherches arménologiques de l’UNIGE, fondé en 1974, est une institution pionnière dans l’étude de la culture arménienne en Suisse et en Europe. À l’occasion de son 50ᵉ anniversaire, la professeure Valentina Calzolari, directrice du Centre, revient sur son rôle historique, ses missions et sa vision pour l’avenir.


 

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Monument de l'alphabet arménien (Aragatsotn, Arménie). Image: DR

 

Le Centre de recherches arménologiques de l’UNIGE constitue un lieu unique en Suisse, et l’un des rares en Europe à proposer une formation complète en langue, littérature et histoire arméniennes. Créé en 1974, suite à un accord entre le DIP, l’Université et la Fondation des frères Ghoukassiantz – deux réfugiés arméniens installés à Genève –, le Centre se consacre, à ses débuts, essentiellement à l’enseignement de l’arménien ancien et moderne. Une approche linguistique qui s’est progressivement élargie sous l’impulsion des différentes directions du Centre, et notamment de la professeure Valentina Calzolari.


«Vous existez sans exister»

«Quand je suis arrivée à Genève en 1993, explique la professeure, j’ai découvert que l’arménien n’était pas une discipline officielle – seulement une branche à option, rattachée au Russe. Je suis allée voir une conseillère aux études et lui ai demandé si c’était un oubli. Elle m’a répondu: «Madame, vous existez sans exister.» Elle ne parlait évidemment pas de moi, mais de l’arménien. J’ai compris que pour donner une vraie existence à l’arménien, il fallait en faire une discipline à part entière. J’ai ainsi élaboré et proposé aux autorités compétentes un plan d’études, qui a été adopté à la rentrée 1994.

En 2007, la Section d’arménien connaît un tournant décisif en devenant une chaire universitaire, ouvrant ainsi la voie à un programme académique reconnu et structuré qui englobe la langue, la littérature, l’histoire et la culture arméniennes, de l’Antiquité jusqu’à l’époque contemporaine. Aujourd’hui, le Centre propose une formation allant du bachelor au doctorat avec une double mission: former des spécialistes dans le domaine arménologique et permettre à des étudiant-es d’autres disciplines de découvrir cette culture plurimillénaire. Des cours sont désormais intégrés à des programmes de littérature comparée, d’histoire générale, d’histoire des religions, d’études genre, d’études médiévales, ainsi qu’au Global Studies Institute, afin d’offrir une vision transversale qui enrichit les perspectives académiques. «Certains de ces cours, devenus obligatoires, témoignent de l’intérêt croissant pour l’arménien», se réjouit Valentina Calzolari. 

Le Centre se veut également un pont avec la Cité, car «l’Université ne peut ni ne doit rester dans sa tour d’ivoire», selon sa directrice qui insiste sur l’importance de continuer à explorer cette culture «très riche, mais si peu connue» et de la rendre accessible au plus grand nombre, en proposant des cours et conférences publics.

 

Rayonnement international

Si l’Unité d’arménien s’attache à se développer au sein de l’UNIGE, elle s’applique également à faire rayonner sa chaire à l’international en collaborant avec de nombreuses institutions, telles que l’Inalco à Paris, l’Université d’Oxford et l’Association internationale des études arméniennes.

Parmi les projets de recherche significatifs dirigés par le Centre figure un travail autour de la transmission des textes grecs anciens en arménien. De nombreux manuscrits philosophiques grecs, notamment ceux d’Aristote, ont, en effet, été traduits en arménien. Leur compréhension reste toutefois complexe, même pour des chercheurs et des chercheuses maîtrisant les deux langues en raison d’un manque de connaissances approfondies en philosophie aristotélicienne. L’Unité d’arménien a ainsi joué un rôle clé en réunissant des professeur-es d’histoire de la philosophie antique, en particulier Jonathan Barnes, et des spécialistes de la littérature arménienne pour décrypter ces textes. Cette collaboration interdisciplinaire, menée également avec l’Institut des manuscrits anciens d’Arménie, illustre la volonté du Centre d’amener l’arménien en dehors du seul giron des études arméniennes.

 

Résilience culturelle

Au cours de son demi-siècle d’existence, le Centre de recherches arménologiques de l’UNIGE a affirmé son rôle central dans la préservation et la transmission de la culture arménienne, tout en s’inscrivant dans une dynamique académique internationale. Valentina Calzolari espère également éveiller des vocations, ayant elle-même découvert sa passion pour l’arménien lors de ses études universitaires à Bologne. Elle souligne l’incroyable capacité de ce peuple à maintenir son identité et à enrichir son patrimoine malgré les migrations et les persécutions. «Tout en étant éparpillé-es sur les cinq continents, note-t-elle ainsi, les Arménien-nes ont réussi à préserver une langue, une littérature, une culture. Non seulement à les préserver, mais aussi à les nourrir grâce aux échanges avec d’autres civilisations.»  

Ancré dans une approche interdisciplinaire, le Centre vise à rendre les études arméniennes accessibles et attractives au plus grand nombre en mettant en avant leur pertinence pour comprendre les enjeux mondiaux actuels. Cinquante ans après sa création, l’Unité d’arménien démontre ainsi que l’étude d’une culture spécifique peut offrir une autre manière de penser l’histoire, les langues et l’actualité.

La prochaine conférence organisée par le Centre de recherches arménologiques de l’UNIGE se tiendra au printemps 2025. Elle portera sur les patrimoines arméniens de l’ancien Haut-Karabagh et, plus largement, sur la préservation des patrimoines dans des contextes de guerre et d’après-guerre.

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