20 février 2025 - Melina Tiphticoglou

 

Vie de l'UNIGE

La philanthropie au chevet des médias

L’Initiative média et philanthropie, un projet porté par le Centre en philanthropie et dirigé par Gilles Marchand, commence ses activités début mars avec l’ambition d’étudier et d’encourager l’engagement philanthropique dans le domaine des médias.


 

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Pour Gilles Marchand, la philanthropie au sens large (fondations, entreprises privées, collectivités publiques) se profile comme une troisième voie de financement intéressante pour les médias qui traversent une crise profonde. Photo: G. Marchand


 
Les médias sont en crise. Victimes d’un modèle économique qui vacille, de changements de comportements massifs, d’une pression politique forte et, plus récemment, des progrès fulgurants de l’intelligence artificielle. En Suisse, le dernier coup de massue vient du TX Group, le plus grand groupe privé de médias du pays, qui annonçait, en août dernier, des coupes importantes dans ses effectifs, conduisant à la fermeture de deux de ses trois imprimeries et à la suppression de 90 postes dans les rédactions. La Société suisse de radiodiffusion et télévision (SSR) est, elle aussi, confrontée à des coupes massives. Au Canada, Pierre Poilievre, chef du parti conservateur et favori des prochaines élections fédérales, promet la suppression du service public Radio Canada (CBC/Radio Canada), le plus ancien service de diffusion du pays.

«On est dans un moment vraiment critique: les médias, publics comme privés, font face à un problème de financement très sérieux qui a pour effet d’altérer l’offre journalistique et, par voie de conséquence, le bon fonctionnement démocratique, commente Gilles Marchand, ancien directeur général de la SSR. Une information de qualité, hiérarchisée, triée et vérifiée contribue à la capacité de chacun et chacune d’exercer son libre arbitre, de voter en étant correctement informé-e, de comprendre l’actualité.»

 

Au 1er mars 2025, ce sociologue de formation, figure bien connue de la scène médiatique, rejoindra l’Université de Genève pour y diriger l’Initiative média et philanthropie. Porté par le Centre en philanthropie et bénéficiant d’un partenariat avec le Pôle médias HEC Montréal, ce projet vise à étudier et à encourager l’engagement philanthropique dans le domaine des médias. «La philanthropie au sens large, qui englobe les fondations, les entreprises privées ainsi que les collectivités publiques, se profile comme une troisième voie de financement intéressante pour les médias, explique Gilles Marchand. Mais comment accompagner cet engagement? Quelles sont les bases sur lesquelles l’engagement philanthropique légitime son acte? Dans ce domaine, il convient que les règles du jeu soient très claires. L’Initiative média et philanthropie a pour but non pas d’aller chercher de l’argent ou d’en distribuer, mais de proposer des outils de bonne gouvernance et des modalités d’engagement pour accompagner cette troisième voie.»

Pour les trois prochaines années, l’Initiative média et philanthropie s’est fixé quatre objectifs très concrets. En s’appuyant sur l’expertise conjointe d’académies et de professionnel-les des médias, il s’agira tout d’abord d’effectuer une analyse scientifique permettant de mesurer la valeur publique d’un média, soit sa contribution à la société. Ce travail sera basé sur des études de cas suisses et internationaux et fera appel à la notion de communs (commons en anglais), qui désigne les ressources partagées, gérées et maintenues collectivement par une communauté, telles que l’eau par exemple. «Est-ce que l’information est un commun? questionne Gilles Marchand. Est-ce que l’information utile à la démocratie est un commun? Si tel est le cas, elle est fragile et on est en droit de se demander si la collectivité ne devrait pas se saisir de ce problème afin d’identifier des modèles qui permettent de la pérenniser.»

Charte et catalogue d'idées
La deuxième ambition de l’Initiative média et philanthropie consiste à fournir un catalogue d’exemples représentatifs d’engagements philanthropiques dans les médias: quel objet a été soutenu? Comment? Avec quel bilan? Ce travail se fera en collaboration avec plusieurs partenaires, dont l’ONG Media Development Investment Fund qui œuvre à la défense de l’indépendance des médias. À la disposition de toute entité s’intéressant à la problématique, ce catalogue pourrait, par exemple, susciter l’intérêt des collectivités publiques. «En tant qu’intermédiaires, ces dernières cherchent à agir pour maintenir la diversité du paysage médiatique, mais elles ne sont pas en droit de distribuer la redevance, précise Gilles Marchand. Au Québec, il y a une exigence culturelle à soutenir la production en français alors que la région est encerclée d’un territoire anglophone. C’est pourquoi le gouvernement a, par exemple, introduit un programme qui finance les frais des stagiaires exerçant dans les journaux francophones, y compris privés, puis une partie de leurs salaires les premières années s’ils/elles poursuivent leur carrière en tant que journalistes.»

La troisième réalisation de l’Initiative média et philanthropie sera sans doute la plus tangible à court terme, avec la création d’une charte à la disposition de celles et ceux qui souhaitent s’engager de manière philanthropique dans les médias. Ce document permettra de fixer les droits et les devoirs du média et de l’acteur/trice philanthropique pour qu’une relation claire et efficace s’établisse réciproquement, en déterminant par exemple des règles claires de gouvernance, des modalités de fonctionnement entre les deux partenaires, ainsi qu’une observation de la valeur publique du média soutenu. «Le monde de la philanthropie est agité par la question de sa légitimité, commente Gilles Marchand. Je suis certain qu’un outil performant dans ce domaine peut inciter des entités qui hésitent à s’engager. Une telle charte les aidera à déclarer leur intention, définir leur gouvernance, décider la destination d’un éventuel profit.»

Enfin, le dernier objectif de l’Initiative média et philanthropie s’incarnera dans un laboratoire d’observation des formes médiatiques de demain. «Aujourd’hui, nous parlons toujours des médias classiques – journaux, radio, télévision, sites internet –, mais quelles seront les expressions médiatiques qui relèveront des communs dans quelques années, interroge Gilles Marchand. À partir de quel moment le travail d’un influenceur ou d’une influenceuse relève-t-il d’une démarche professionnelle journalistique? Comment considérer les plateformes de fact checking? Ces questions sont importantes et nous aimerions faire de la prospective sur le sujet.»


Médias: les financements alternatifs en débat
Le 12 mars, Nicolas Duvoux, directeur du Centre en philanthropie, et Gilles Marchand, directeur de l’Initiative média et philanthropie, proposeront une conférence intitulée «Philanthropie: quels financements alternatifs pour les médias?» Celle-ci sera suivie d’un débat en présence de Snezana Green (Reporters Shield Program), de Patrice Schneider (Media Development Investment Fund), de Sylvain Lafrance (Pôle médias HEC Montréal) et de Florence Turpault-Desroches (La Presse).

Le cas exemplaire de La Presse sera abordé lors de cette soirée. Ce grand journal de Montréal était dans une situation financière critique avant d’être sauvé par une fondation canadienne. Cette dernière lui a permis de trouver un nouveau modèle, le journal se déclinant désormais uniquement au format digital. Son lectorat a suivi et le journal est aujourd’hui en pleine santé. «Je trouve cet exemple très intéressant, car il montre que des solutions existent, commente Gilles Marchand. Évidemment, plus les marchés sont petits, plus c’est difficile, mais le Canada francophone n’est pas gigantesque non plus.»

PHILANTHROPIE: QUELS FINANCEMENTS ALTERNATIFS POUR LES MÉDIAS?
Mercredi 12 mars | 18h-20h
Campus Biotech
Entrée libre, sur inscription (délai au 28 février)

 

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