17 octobre 2024 - Chams Iaz

 

Vie de l'UNIGE

«Ce n’est que dans les années 1980 que l’enfant est devenu un sujet de droit»

Cent ans après la rédaction de la Déclaration des droits de l’enfant, Philip Jaffé s’est penché sur sa modernisation. Ce document sera révélé le mois prochain à Genève. Entretien.

 

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Image: millaf


Philip Jaffé en est convaincu: il n’y a pas de véritable démocratie sans impliquer davantage les jeunes et les enfants. L’ancien directeur du Centre interfacultaire en droits de l’enfant (CIDE) et membre du Comité des droits de l’enfant de l’ONU est donc ravi qu’une soirée de la Semaine de la démocratie ait été dédiée à cette tranche de la population.

Une table ronde a ainsi été organisée le 10 octobre dernier pour se demander comment les jeunes sont pris-es en considération sur le plan sociopolitique en Suisse. Une question à laquelle ont tenté de répondre la collégienne Naïlem Gambaye, un jeune adulte impliqué en politique Noé Dene, la pédopsychiatre Laelia Benoit, la politicienne Lisa Mazzone et le conseiller fédéral Beat Jans.

 
Le Journal: Pourquoi était-il important d’accorder une plus grande place aux jeunes cette année?
Philip Jaffé:
Nous célébrons cette année les 100 ans de la Déclaration des droits de l’enfant. J’ai contacté la Ville de Genève pour marquer le coup et, de fil en aiguille, nous avons élaboré une série d’événements dont le dernier en date était la table ronde du jeudi 10 octobre. Avant cela, nous avons organisé le transfert de sépulture d’Eglantyne Jebb. Cette philanthrope britannique a fondé, avec sa sœur, l’organisation caritative Save the Children et a rédigé la Déclaration de Genève des droits de l’enfant en 1924. C’était la première fois qu’un traité international était adopté concernant les droits des enfants. Ce document, signé notamment par un futur recteur de l’UNIGE, a eu une importance capitale. Une conférence sur l’histoire de cette déclaration aura lieu en novembre à l’Université.

 

Est-ce que cette déclaration est encore pertinente 100 ans plus tard?
La Déclaration de 1924 a mené en ligne directe à la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant de 1989. Mais elle reste influente sur le plan symbolique même si son langage et les préoccupations qu’elle exprime au sujet des enfants sont d’une autre époque. Il était temps de la moderniser. C’est pourquoi je l’ai mise à jour en incluant les défis auxquels les enfants d’aujourd’hui font face. Cette nouvelle déclaration, portée par plusieurs ONGs (Save the children, Enfants du monde, Terre des hommes Suisse) et la Ville de Genève, sera dévoilée au cours d’une cérémonie organisée le 20 novembre. La Déclaration de Genève version 2024 sera également présentée lors de la Conférence romande des enfants, les 23 et 24 novembre au Théâtre Am Stram Gram. La déclaration sera mise en valeur aux côtés de l’originale, sortie des archives pour l'occasion. 

 

Quels changements ou ajouts avez-vous proposés?
Je ne peux pas encore donner les détails, mais des situations sautent aux yeux. En 1924, le monde digital, les biotechnologies, la crise climatique ou encore les questionnements sur le genre n’existaient pas encore. À l’inverse, il y a des similitudes criardes avec notre époque. L’une des motivations d’Eglantyne Jebb était le monde qui l’entourait au sortir de la Première Guerre mondiale, durant laquelle des centaines de milliers d’enfants ont été tué-es, blessé-es, affamé-es et sont devenu-es orphelin-es. Cette situation n’est pas sans rappeler ce qu’il se passe sur le plan global du côté de Gaza, du Yémen, de la République démocratique du Congo ou d’autres contrées.

 

Et comment a évolué le droit des enfants sur cette même période dans notre société?
La grande évolution, c’est qu’en 1924, les juristes ou politicien-nes considéraient l’enfant comme un objet auquel il fallait fournir des prestations: faire en sorte qu’il/elle soit mieux protégé-e, reçoive à manger, soit soigné-e, ait un toit sur la tête. L’enfant était le récipient de la bonne conscience adulte. Ce n’est que vers les années 1980 que l’enfant est devenu-e ce qu’on appelle un sujet de droit. L’enfant a des droits, peut les exercer et ceux-ci doivent être respectés. L’enfant a le droit d’avoir une opinion, de s’exprimer sur tous les sujets qui le concernent ou lui tiennent à cœur. Et il y a une obligation concomitante de la part des gouvernements, ou des personnes dans une société, d’en tenir compte. En tant que membres de la société, les enfants doivent pouvoir s’exprimer sur ce qu’ils et elles vivent et sur ce qui les affecte.

 

Dans un pays démocratique comme la Suisse, est-ce que les enfants ont suffisamment de droits sociopolitiques?
Les enfants ne votent pas, ce sont donc aujourd’hui des citoyen-nes en quelque sorte inférieur-es. Peut-être pourrions-nous pousser le curseur vers une participation plus directe des jeunes et des enfants dans notre société, qu’on considère déjà comme très démocratique. Nous pourrions examiner à nouveau la possibilité de baisser le droit de vote de 18 à 16 ans – Lisa Mazzone a, voici quelques années, présenté une initiative parlementaire en ce sens –, ou encore imaginer que les enfants soient consulté-es d’une manière plus authentique sur des décisions de société. Le conseiller fédéral Beat Jans a fourni l’exemple de ses propres enfants consultés au sujet de l’aménagement en zone de jeux d’une rue de leur quartier à Bâle.

 

Mais comment traduire les opinions de la jeunesse et porter les débats qui les animent auprès des décideurs/euses adultes qui détiennent le pouvoir?
Il y a dans notre société une tendance à l’infantisme, des discriminations dirigées contre les enfants et les adolescent-es. Les mineur-es font toujours l’objet d’une écoute moins sensible, moins ouverte. Ce n’est peut-être plus au niveau du «tais-toi et mange ta soupe» d’antan, mais il y a comme une angoisse à offrir plus d’opportunités aux jeunes et aux enfants. Il y a peut-être une crainte qu’elles/ils fassent la révolution ou ne soient pas suffisamment responsables. Ce sont les mêmes peurs qui agitaient les hommes avant que les femmes n’aient le droit de voter.

 

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