20 février 2025 - Manon Voland

 

Vie de l'UNIGE

Femmes et contes de fées: réécrire l’histoire pour réenchanter le réel

Les mythes et contes recèlent des enjeux qui influencent notre perception du monde et des rôles de genre. Enseignante à la Faculté de théologie, Mariel Mazzocco propose une lecture critique et féministe de ces récits pour mieux en déconstruire les stéréotypes.


 

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Image: DR

 

Cendrillon récure la cuisine, une pantoufle de vair en guise d’espoir; Aurore (La Belle au bois dormant) sommeille en attendant son prince; Ariel (La Petite Sirène) troque sa voix contre des jambes pour séduire un bellâtre; Jasmine (Aladdin) épouse un prétendant choisi pour elle; Blanche-Neige est emprisonnée dans un cercueil de verre pour avoir été trop belle… Les contes qui nous accompagnent depuis l’enfance véhiculent souvent l’image de figures féminines figées dans la passivité, l’attente et la soumission. Pourtant, derrière les récits édulcorés par Disney et la littérature jeunesse se cachent d’autres versions d’une même histoire – notamment écrites par des écrivaines tombées dans l’oubli – dans lesquelles le rôle de la femme est bien plus actif. C’est à cette redécouverte critique et émancipatrice qu’invite Mariel Mazzocco (responsable des enseignements en spiritualité à la Faculté de théologie) dans le cadre du cours public «Femmes et spiritualité: entre mythes et contes de fées». À travers une approche interdisciplinaire, elle explore la manière dont ces récits ont façonné notre imaginaire collectif et propose une (re)lecture permettant de déconstruire ces stéréotypes autour du féminin.

 

Renverser les codes
Lorsque l’on pense aux contes, les noms d’Andersen, Perrault et des frères Grimm surgissent généralement. Pourtant, les contes de fées ont été inventés par des autrices autrefois célèbres que l’histoire littéraire et le patriarcat ont pris soin d’effacer. «On a totalement oublié leur nom, déplore Mariel Mazzocco. Je souhaite redonner de la visibilité à ces écrivaines et à leurs versions des contes. Finette Cendron (1698) de Mme d’Aulnoy, par exemple, renverse les codes: loin d’attendre un prince, l’héroïne use de stratégie pour restaurer le statut social de sa famille et utilise son mariage pour arriver à ses fins. On sort là du cliché de la femme au service des autres – notamment de son mari – et vouée à la souffrance avec patience. Ici, les femmes s’émancipent, sont indépendantes et ont le pouvoir.»

Normes et violences de genre
Le conte, pense-t-on généralement, est un genre spécifiquement destiné aux enfants. À l’origine pourtant, ces récits n’étaient aucunement destinés à un jeune public – bien au contraire. Certains d’entre eux, comme La Belle et la Bête (1740) de Mme de Villeneuve, servaient à remettre en question la normativité de genre et à éduquer les jeunes femmes, notamment en matière de consentement: lorsque la Bête demande à la Belle si elle accepte de coucher avec lui, elle précise: «Mais sans vous effrayer répondez comme il faut. Dites précisément oui ou non.» Lorsque l’héroïne refuse, la Bête respecte son choix sans insister: «Eh bien, puisque vous ne voulez pas, je m’en vais.»  D’autres récits, plus sombres et violents, dépeignent des situations de domination masculine flagrantes, comme dans les versions de La Belle au bois dormant du Perceforest (XIVe siècle) et de Giambattista Basile (1634), où un prince viole une princesse endormie sans qu’elle ne se réveille ni ne puisse consentir. Si certains de ces contes peuvent être interprétés comme des mises en garde contre les dérives du pouvoir masculin, ils ont également renforcé le stéréotype de la passivité féminine et contribué à une normalisation de la violence. Un processus qui n’est pas sans rappeler les enjeux du procès de Mazan et qui pousse à réfléchir à l’impact de ces récits dans la construction de l’imaginaire collectif contemporain. «Ces histoires sont ancrées dans un contexte socioculturel donné, mais la façon dont nous les interprétons révèle nos propres conditionnements, cultures et idées préconçues», précise Mariel Mazzocco.

Le pouvoir de rêver
Le cours «Femmes et spiritualité: entre mythes et contes de fées» vise un triple objectif: redécouvrir les écrivaines de contes, questionner les clichés de genre et réenchanter le réel. «Dans un monde bouleversé comme le nôtre, aborder la question des contes de fées permet d’ouvrir un nouvel espace qui permet de s’accorder le pouvoir d’imaginer et de rêver, explique la philosophe Mazzocco. Dans ce cours, la notion de spiritualité évoque une quête de soi, une exploration intérieure.» À l’image de La Petite Sirène d’Andersen (1837) qui prend conscience que son bonheur ne dépend que d’elle-même, l’étude des contes permet une introspection, un déconditionnement des normes qui façonnent notre identité et la prise de conscience que chaque individu porte en lui les clés de son propre devenir. «Ce cours ne s’adresse pas qu’aux femmes, mais à toute personne prête à déconstruire son imaginaire», conclut Mariel Mazzocco.

 

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