Natacha Allet, © 2005
Dpt de Français moderne – Université de Genève
Beaujour enfin mentionne à plusieurs reprises le risque de l'impersonnalité que court le sujet dans l'autoportrait. Il remarque d'une part que la mémoire collective entre en concurrence avec la mémoire individuelle de celui qui écrit: elle lui tend les catégories les plus générales et les plus anonymes à travers lesquelles il cherche à se saisir, et menace ainsi de le dissoudre, de noyer sa singularité dans une forme d'universalité. J'ai eu l'occasion d'évoquer cette mémoire déjà (cf. II.2.1. et III.2.2.), vous pouvez penser encore aux figures mythiques de Lucrèce et de Judith qui condensent dans L'âge d'homme des aspects contradictoires de l'érotisme de Leiris, vous pouvez penser également à Perséphone ou Narcisse qui jalonnent tant d'autres autoportraits.
Il se pourrait d'autre part qu'à la présence à soi se substitue la présence de l'écrit. Dans une rubrique intitulée La coïncidence, Barthes écrit: Je ne dis pas:
Le sujet écrivant serait amené à mourir au monde afin de vivre dans le présent de son texte, il serait amené à disparaître comme corps et à renaître comme corpus. Le JE écrivant s'installerait à la place du JE écrit dont le texte serait le tombeau (et le thème de la mort ou du suicide est fréquent dans l'autoportrait – Vieillesse et mort, c'est la première rubrique que l'on trouve dans L'âge d'homme). Ainsi, le sujet biographique qui entreprend d'écrire son portrait se trouve nécessairement confronté aux limites de sa propre mort et à celle de l'impersonnel (la culture, la langue). Tel est le paradoxe du genre: le sujet qui se cherche ne cesse de se perdre dans le labyrinthe de son texte. Reste un style, et la singularité d'un trajet opéré dans la mémoire de toute une culture.
Je vais me décrire
, mais: J'écris un texte, et je l'appelle R.B.
.
Edition: Ambroise Barras, 2005