Jean Kaempfer & Filippo Zanghi, © 2003
Section de Français – Université de Lausanne
Mais en l'occurrence, sous prétexte d'épargner son lecteur, le narrateur coupe la parole à son personnage. Il ne se contente plus de narrer, il ouvre dans le texte un autre univers, celui d'un conteur parisien ne partageant pas les préjugés de la province. Il est ici à son degré de présence maximale, ce dont témoignent différents déictiques – marques de la personne (je
, vous
), présent (du subjonctif) et futur – ainsi que le ton manifestement ironique du propos (emploi du terme barbarie
, ménagements savants en italique). Ici, nous accédons au niveau extradiégétique, celui d'où un narrateur peut à tout moment commenter ou juger ce qui fait l'objet de sa narration.
Dans notre exemple, ce niveau est occupé par un narrateur hétérodiégétique. Mais un narrateur homodiégétique pourrait l'occuper aussi bien.
(7) Or (comme je ne savais pas alors l'influence que cette famille devait avoir sur ma vie) ce propos aurait dû me paraître oiseux, mais il me causa une vive souffrance.
Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs
Dans ce passage, le je-narrateur ne se contente pas de rapporter la souffrance du je-personnage; il intervient dans le texte en personne; ce qu'il sait aujourd'hui lui permet de porter un jugement critique sur le caractère inapproprié de cette souffrance.
Extra-, intra-, métadiégétique: voilà les trois niveaux susceptibles d'héberger des univers narratifs. Dans la suite du chapitre, nous étudierons l'interaction de ces différents niveaux et les effets spécifiques qu'on peut obtenir de leur intrication.
Edition: Ambroise Barras, 2003-2004