La parole ‘‘indigène’’ entre littérature orale et culture lettrée

Projet FNS (2022-2026)

Présentation

Cette recherche collective veut reprendre une question explorée, d’une part, par les « folkloristes » (écrivains, ethnologues ou historiens), d’autre part, par les études littéraires « francophones » - les rapports entre littérature orale et culture lettrée - mais elle veut le faire à nouveaux frais, en se focalisant sur les situations coloniales et postcoloniales. Nous entendons montrer que la confrontation avec la littérature orale a joué un rôle souterrain, à la fois central et méconnu, dans la double histoire des savoirs et de la création littéraire au XXe siècle. À partir de l’étude de trois corpus d’époques et d’origines variées (Afrique, Amérique du Nord, Antilles), il s’agira de mettre en évidence non seulement les devenirs de la littérature orale dans la culture lettrée, mais aussi les devenirs d’une culture lettrée travaillée par l’oralité. Ce faisant, nous ferons apparaître que les liens entre littérature orale et culture lettrée ne relèvent pas uniquement de rapports de domination, mais doivent également être conçus en termes d’emprunts et de transformations réciproques.

Pour ce faire, nous proposons d’adopter une approche symétrique, qui combine la perspective européenne sur la littérature orale des territoires colonisés et la perspective « indigène » sur cette littérature orale ainsi que sur la culture lettrée européenne, en associant approches littéraires et  observations ethnographiques. Nous voulons, d’une part, souligner l’importance et la complexité, souvent ignorées, des usages de la littérature orale indigène au XXe siècle par la culture lettrée, en mettant en évidence les transactions, traductions, appropriations de la littérature orale à la fois par les ethnologues et par les poètes européens soucieux de nouvelles inspirations. Nous voulons, d’autre part, mettre en lumière la richesse et la variété des usages autochtones des cultures orales et lettrées, ce à partir d’une étude non seulement des textes, mais aussi des pratiques, en articulant les méthodologies des études littéraires et celles de l’anthropologie.

Cette démarche profondément interdisciplinaire prendra appui sur deux champs de recherche jusque-là hétérogènes et qu’elle entend faire dialoguer : les riches études à la fois ethnologiques et littéraires qui, dans les années 1970 et 1980, se sont intéressées à la littérature orale européenne et à l’ambivalence de son intégration à la culture lettrée (intégration qui mêle toujours reconnaissance et exclusion) ; les études « francophones » qui ont investi la tension entre oralité et écriture mais qui tiennent rarement compte de la littérature orale elle-même et des études sur la littérature orale, se privant ainsi du legs d’une histoire déjà longue.

Les chercheurs associés dans ce projet ont pour point commun d’avoir une connaissance fine de l’histoire de l’anthropologie et de l’héritage des sciences sociales, qui leur permettra de prendre en compte à la fois les formes de la littérature orale elle-même, les formes des appropriations dont elle est l’objet et sa capacité de subversion des partages institués. Leur recherche donnera lieu à une thèse de doctorat bi-disciplinaire, à deux monographies et à un ouvrage collectif. À l’horizon de ce projet, se trouve la volonté de questionner l’historicité du partage entre oral et écrit, son rôle dans l’organisation des savoirs et des disciplines, et ses implications politiques, toujours présentes mais particulièrement sensibles et lisibles en situations coloniales et postcoloniales. C’est aussi notre propre position en tant que chercheurs spécialistes de littérature que cette distribution politique et épistémologique interroge.

Equipe

Vincent Debaene
requérant, professeur ordinaire de littérature française à l’université de Genève, recherche en cours sur les usages anthropologiques des oralités africaines dans le premier XXe siècle

Eléonore Devevey
collaboratrice scientifique, maître-assistante en littérature française à l’université de Genève, recherche en cours sur l’appropriation poétique des oralités des peuples autochtones d'Amérique du Nord dans le second XXe siècle

Soraya de Brégeas
collaboratrice scientifique, assistante FNS, doctorante en littérature française à l’université de Genève et en anthropologie à l’université Lumière Lyon 2, recherche en cours sur la praxis poétique martiniquaise entre cultures orale et lettrée aux XXe et XXIe siècles

Photo : Le Centre culturel de rencontre de Fonds Saint-Jacques à Sainte-Marie (Martinique), ancienne habitation du Père Labat dévolue aux arts de la parole
©Soraya de Brégeas
 

Activités

Séminaire de recherche « Littérature orale et culture lettrée : perspectives historiques et théoriques » (printemps 2023)
Programme

Séminaire de recherche « Littérature orale et culture lettrée : situations coloniales et postcoloniales » (printemps 2024)
Programme

Conférence exceptionnelle: "Les objets "mutants" et la question de la restitution", par Souleymane Bachir Diagne

Colloque international (mai 2025) : programme à venir

Publications

Vincent Debaene, "Littérature orale et "poésie vécue". À propos de Michel Leiris, Jean Jamin et quelques autres", Gradhiva, 2024, n° 37, pp. 80-97

Eléonore Devevey, « Franz Boas à la lettre. Traduire les langues, cartographier les mythes »Gradhiva, 2023, n°35, pp. 166-172

Vincent Debaene, « Comment lire Doguicimi ? Formes et enjeux d’un roman historique »Études littéraires africaines, 2022/53, pp. 123-149

> Communications

Partenaires

Cécile van den Avenne (EHESS), Claude Calame (EHESS), Pierre Déléage (EHESS), Souleymane Bachir Diagne (Université Columbia), François Laplantine (Université Lyon 2), Cyril Vettorato (Université de Paris), Musée d’Ethnographie de Genève

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