Séminaire de Recherche en Linguistique

Ce séminaire reçoit des conférenciers invités spécialisés dans différents domaines de la linguistique. Les membres du Département, les étudiants et les personnes externes intéressées sont tous cordialement invités.

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Titre La linguistique darwinienne
Conférencier Thomas Robert (UNIGE)
Date mardi 11 décembre 2012
Heure 12h15
Salle L208 (Bâtiment Candolle)
Description

L’importance prise par les considérations biologiques dans les sciences du langage n’est plus à prouver. Le problème de l’origine du langage illustre à lui seul les présuppposés biologiques auxquels le linguiste doit désormais se référer. De manière générale, la théorie synthétique de l’évolution fait partie des prémisses de l’investigation linguistique. Plus particulièrement, le langage est considéré comme étant issu d’une évolution dont le mécanisme principal, si ce n’est exclusif, est la sélection naturelle. En définitive, il est possible de qualifier la linguistique actuelle comme étant parfaitement néo-darwiniste.

A la linguistique néo-darwiniste, nous voulons opposer une linguistique darwinienne, c’est-à-dire conforme aux œuvres du naturaliste anglais. En effet, le néo-darwinisme est issu d’une lecture caricaturale de Darwin, centrée, voire même parfaitement limitée à L’origine des espèces. Pire, une seule idée de cet ouvrage pourtant riche est retenue par le néo-darwinisme : la descendance avec modification au moyen de la sélection naturelle. Cette lecture, erronée tout autant que parcellaire, présente l’avantage d’être compatible avec une vision réaliste-cartésienne de l’animal et de l’homme, ainsi que de leurs facultés, particulièrement adéquate à une science sélectionniste et anthropocentrique. Au contraire, l’étude de la théorie darwinienne complète réclame de relativiser la centralité de la sélection naturelle au profit de la reconnaissance de ce que l’on peut considérer comme un champ de l’inutile regroupant les structures et les comportements non-adaptatifs et anti-adaptatifs ; de même, l’éthologie darwinienne, à travers un anthropomorphisme assumé mettant au centre de l’évolution l’individu-animal, élimine tout anthropocentrisme. C’est au sein de cette éthologie darwinienne qu’émerge la question du langage en général et de son origine en particulier. A ce titre, L’origine des espèces est un ouvrage tout à fait inadéquat en ce qui concerne les perspectives linguistiques. Le but même de ce manuel du transformisme, prouver la descendance avec modification en l’unifiant autour de la sélection naturelle, conformément à l’idéal de la philosophie des sciences victorienne, conduit à une éthologie darwiniste acquise au sélectionnisme pouvant déboucher sur les extrapolations les plus erronées sur le langage. La filiation de l’homme et L’expression des émotions chez l’homme et l’animal permettent au contraire de considérer toute la portée, bien plus riche, des considérations du naturaliste anglais sur l’épineuse question du langage. Une véritable reconstruction de l’origine de la parole humaine à travers l’observation de la communication animale est proposée de manière synthétique dans la première partie de La filiation de l’homme. Toutefois, cette synthèse ne prend tout son sens qu’après une lecture méticuleuse de la seconde partie, consacrée à la sélection sexuelle, ainsi que de l’ouvrage sur les émotions. Le langage humain, ainsi que la majeure partie de la communication animale, apparaissent non pas comme étant des adaptations, mais comme étant l’expression de passions relevant du champ de l’inutile.

Nous proposons, dans un premier temps, de faire apparaître l’importance du champ de l’inutile dans la théorie darwinienne. Puis, nous mettrons en évidence la réponse donnée par Darwin à la question des origines de la parole humaine. L’articulation entre champ de l’inutile et questionnement sur le langage nous permettra de monter l’incompatibilité entre la théorie darwinienne et tout un pan des investigations linguistiques actuelles (sélectionnistes et anthropocentriques) dont le célèbre article de Hauser, Chomsky et Fitch (2002) est une illustration paradigmatique.

   
Document(s) joint(s)
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