Disciplina Clericalis

II. Le remaniement incessant

II. LE REMANIEMENT INCESSANT

La complexité, mais aussi la richesse de cette double tradition manuscrite motive le recours à une présentation informatisée de ces textes. Les divergences entre les manuscrits sont trop importantes pour que l’on puisse espérer mettre au point un texte critique des Fables Pierre Aufors et du Chastoiement qui soit satisfaisant pour l’esprit. A. Hilka et W. Söderhjelm ont tenté de rendre compte de la spécificité de chaque manuscrit en donnant le texte des remaniements les plus remarquables à la suite de leur essai de reconstitution, mais cette solution n’est qu’un pis-aller. Dans la perspective d’une nouvelle édition, il nous a paru nécessaire de donner accès aux différentes élaborations dont les manuscrits portent témoignage .

Il n’y a rien d’original à affirmer que les pratiques littéraires médiévales obligent les critiques littéraires, les philologues et les linguistes qui s’y intéressent à s’interroger sur la notion de texte. Le livre de Bernard Cerquiglini, Eloge de la variante : histoire critique de la philologie (1989), a ouvert la discussion il y a une bonne dizaine d’années déjà et plusieurs articles ou séries d’articles lui ont fait écho de manière plus ou moins polémique (Uitti, 1995, pp. 467-486 ; Speer, 1991, pp. 7-43). Son propos était de promouvoir la variabilité de l’œuvre littéraire au Moyen Age au rang d’une qualité intrinsèque de la littérature de langue romane. Sa réflexion se déploie à partir de la notion de « mouvance » élaborée par Paul Zumthor (1972, p. 507), tout en restant, contrairement à la perspective « oraliste » de ce dernier, essentiellement préoccupé par les pratiques liées à la transmission manuscrite des textes.

Les traductions françaises de la Disciplina clericalis illustrent bien ce qu’il en est de cette « variance » (Cerquiglini, 1989, p. 54) constitutive de la textualité médiévale. Lorsque l’on cherche à comprendre les principes de composition qui régissent ces œuvres, on ne peut qu’être frappé par le contraste qu’il y a entre la relative fixité de la tradition latine qui nous transmet le recueil de Pierre Alphonse et le caractère extrêmement labile des transcriptions françaises 1. Autant le recueil latin paraît jouir d’une autorité qui suffit à le mettre à l’abri de certaines tentatives de réécriture, qu’il s’agisse d’amplifications, de résumés, de contaminations ou d’interpolations, autant les traductions semblent connaître un mode de diffusion qui consiste à remanier à chaque fois peu ou prou le texte copié.

Pour en savoir plus : Le remaniement : chance ou malédiction de la textualité médiévale ? 


1 Söderhjelm, 1910, pp. 53-54 : « Im Grunde weichen diese Hdss trotz der Menge und der zeitlichen Distanz sehr wenig von einander ab. Die allermeisten schliessen sich so eng an die Version des Labouderie’schen Druckes an, dass die Verschiedenheiten nur in orthographischen Einzelheiten, der Stellung der Wörter, Auslassung einiger Wörter und Sätze u. s. w. bestehen. »