Résumés des communications
K. Busby (University of Wisconsin)
« Le Songe d’Enfer de Raoul de Houdenc dans son contexte manuscrit »
À travers un examen des contextes manuscrits du poème infernal de Raoul de Houdenc, j’aborderai un certain nombre des questions soulevées dans la justification du colloque. Ce poème allégorique de 682 vers nous a été transmis dans dix manuscrits, parmi lesquels figurent certains des grands recueils des XIIIe et XIVe siècles : le BnF, f. fr. 837, 1593, 2168, 12603; Berne, Burgerbibliothek 354; Turin, BN L. V. 32 (détruit dans l’incendie de 1904); et Oxford, Bodleian, Digby 86. Dans le manuscrit Reims, BM 1725, Le Songe d’Enfer est entouré de textes latins tandis qu’il est seul à occuper le BnF, f. fr. 25433; il accompagne le Testament de Jean de Meun dans l’ancien manuscrit Ashburnham (maintenant à la Beinecke Library, Yale University). La diversité des micro- et macro-contextes codicologiques du Songe d’Enfer offre autant de possibilités pour mettre à l’épreuve des hypothèses concernant la sélection du poème et sa situation dans un recueil, ses mises en texte et mises en page, et la manière de sa réception dans certaines régions de la francophonie médiévale (le nord-est de la France, la Bourgogne, et l’Angleterre, entre autres).
Chantal Connochie-Bourgne (Université de Provence, Aix-Marseille 1)
« Diversité et homogénéité des recueils de textes didactiques (“ livres de clergie ” et “ roman ”) »
La tradition manuscrite de l’Image du monde (1245) offre à l’étude un grand nombre de recueils homogènes (selon la définition de D. Muzerelle, Vocabulaire codicologique. Répertoire méthodique des termes français relatifs aux manuscrits, Paris, CEMI, 1985). Certains, comme le manuscrit BnF, f. fr. 14964, présentent à la suite de ce texte une version du Bestiaire de Guillaume et un Lapidaire, tous trois écrits en vers octosyllabiques. Ce recueil de la fin du XIIIe siècle (en bon état de conservation) témoigne d’une parenté générique que d’autres regroupements confortent : la connotation fortement didactique du terme « roman » employé alors pour les désigner s’étend à des textes que nos habitudes définitoires distingueraient. S’il peut paraître incertain de dire quels critères un libraire ou un commanditaire de la fin du XIIIe siècle suivait pour constituer un recueil, on peut toutefois observer les types de parenté qui étaient ainsi établis pour (et par) le lecteur au point parfois de faire varier un texte au contact d’un autre.
Joëlle Ducos (Université de Paris IV-Sorbonne)
« Compilation astronomique et mise en recueil : Li compilations de la science des estoiles de Léopold d’Autriche »
Le livre de Léopold d’Autriche se présente dans la continuité du mouvement encyclopédique du XIIIe siècle puisqu’il se veut une compilation des ouvrages astronomiques et prétend donner un aperçu des différentes disciplines et des savoirs relevant de la science du ciel aux XIIIe et XIVe siècles. La traduction qui en est fournie en offre une version généralement fidèle, même si elle est parfois lacunaire. La clarté de la présentation est soulignée par une division en livres et en chapitres qui en font apparemment un instrument de consultation commode. Toutefois l’examen plus attentif révèle des rapprochements étonnants, et une construction qui s’apparente davantage à la mise en recueil qu’à la constitution d’une encyclopédie. Cette œuvre de compilation s’inscrit-elle dans la tradition encyclopédique ou dans celle de la mise en recueil du manuscrit ? Quelle fonction remplit-elle pour le lecteur, qu’il s’agisse de l’œuvre latine ou de celle du français ? L’examen portera donc sur une réflexion sur les savoirs ainsi présentés, sur leur choix, et entraînera une interrogation sur la forme choisie par Léopold d’Autriche ainsi que sur celle de son traducteur.
Gilbert Fournier (Dr ès lettres de l’Université de Genève)
« Un, cent, cent mille ou les collections dans la tradition manuscrite des sermons allemands de Maître Eckhart »
Bien que la tradition manuscrite des sermons allemands de Maître Eckhart ait été de longue date l’objet de l’attention de la communauté scientifique, la part qui incombe aux collections ou aux recueils en tout genre est demeurée jusqu’à ce jour grandement insoupçonnée. Précoce, le phénomène est reconduit tout au long du moyen âge, et par delà, comme l’atteste le Basler Tauler-Druck de 1521. Il n’en demeure pas moins délicat à appréhender. Collections ou recueils, disions-nous, mais de quoi s’agit-il ? Quelle intention préside à leur confection ? Ou encore quelle fut leur fortune ? S’ils sont le plus souvent anonymes, dénués de paratexte et transmis dans un manuscrit unique, il est cependant des cas où une amorce de réponse à ces questions peut être apportée. Ainsi en va-t-il du Paradisus anime intelligentis, qui, outre le fait d’être doté d’un titre, chose exceptionnelle, est précédé d’une table dont l’étude révèle notamment la dimension mémorielle de l’entreprise. Il s’est manifestement agi d’élever un monument à la mémoire d’Eckhart et du studium generale d’Erfurt. Attesté de surcroît dans deux manuscrits et peut-être dans le catalogue médiéval de la chartreuse d’Erfurt, le Paradisus connut une fortune sans égale. Il alimenta enfin les Sermones novi de Nicolas de Landau, qui s’empara à son tour de la tradition eckhartienne dans le but avoué de voler au secours des jeunes prédicateurs en leur livrant des modèles de sermons. En résumé, la tradition manuscrite des sermons allemands de Maître Eckhart permet de décliner quelques-unes des modalités susceptibles d’avoir présidé à la réalisation de collections ou de recueils qui, en règle générale, sont considérés au mieux comme une « donnée » de la philologie.
Francis Gingras (Université de Montréal)
« Mise en recueil et typologie des genres aux XIIIe et XIVe siècles : romans atypiques et recueils polygénériques (Biausdous, Cristal et Clarie, Durmart le Gallois et Mériadeuc) »
L’étude des recueils médiévaux permet d’approcher le nouveau système des genres littéraires qui se constitue avec l’émergence d’une littérature en langue vernaculaire. À travers la pratique de la collection de textes transparaissent certains principes d’organisation par genre (épique, hagiographique, historique, romanesque), bien que les catégories ne soient pas parfaitement étanches et que les désignations ne soient pas toujours fermement établies. Il n’en reste pas moins que le regroupement par genre, pour l’ensemble d’un recueil ou pour une partie importante d’un codex, est une pratique largement répandue qu’il faut certainement interroger si l’on souhaite mieux cerner la réception des formes narratives vernaculaires au moyen âge. Parallèlement, le contexte codicologique permet d’éclairer certains textes atypiques du point de vue générique. Ainsi, il est significatif que quatre « romans », en décalage plus ou moins clairement revendiqué par rapport au corpus arthurien, ne nous soient parvenus, dans chacun des cas, que dans un manuscrit unique où le mélange des genres est largement pratiqué : Biausdous (BnF, f. fr. 24301), Cristal et Clarie (Arsenal 3516), Durmart le Gallois (Berne, Burgerbibliothek 113) et Meriadeuc : le chevalier aux deux épées (BnF, f. fr. 12603). Dès lors, non seulement la mise en recueil invite-t-elle à réévaluer la question plus générale d’une typologie des genres narratifs au moyen âge, mais elle permet aussi d’éclairer la poétique spécifique de textes généralement rejetés en marge des réflexions sur le roman médiéval.
Amy Heneveld (Université de Genève)
« Chi commence d'amours », ou commencer pour finir : la place des arts d'aimer dans les manuscrits-recueils du XIIIème siècle
Les manuscrits-recueils du XIIIème siècle contiennent souvent des œuvres de caractère très varié. Cette diversité correspond à l'hétérogénéité des anthologies elles-mêmes; chacune répond en effet à un contexte de production différent. Pourtant, nous y trouvons dans bien des cas les mêmes écrits et notamment, des textes qui relèvent d'une didactique amoureuse.
Dans cette communication, j'aimerais aborder la question du rôle des arts d'aimer dans les recueils médiévaux. Regroupés à la fin de certains manuscrits, ils semblent constituer un genre à part et exercer une fonction de clôture. Les liens qu'ils entretiennent en général avec les textes auxquels ils sont associés ne sont pas non plus évidents. De quelle manière le type d'enseignement qu'ils expriment coexiste-t-il donc avec les tendances spirituelles et morales qui animent la plupart de ces florilèges ? Pourquoi débouchent-ils souvent sur cette tradition particulière ? Nous essayerons de voir, à travers un échantillon de manuscrits, les sens de cette organisation et de l'inclusion d'une poétique amoureuse dans de telles collections.
Anne-Françoise Leurquin (IRHT)
« Les hésitations du cycle christique du légendier G de Meyer »
Les quatre manuscrits du légendier méthodique G de Meyer (Bruxelles, BRB 9225, Londres, Brit. Libr., Add. 17275 et Paris, BNF fr. 183 et 185) font précéder les vies des saints apôtres par un cycle de textes consacrés au Christ. Or autant le légendier proprement dit témoigne, dans sa composition et sa structuration, de constance et de fidélité à son modèle commun, autant le cycle christique présente de flottements.
En effet, si les quatre scribes jugent tous approprié d’introduire et de justifier le récit de la vie – et surtout de la mort – des disciples du Christ par des textes consacrés au maître, l’absence d’un modèle normé bien établi leur laisse une part d’improvisation. En résultent des variantes dans le choix des épisodes, le recours à diverses sources, en particulier la Légende dorée, dans laquelle l’un ou l’autre copiste sélectionne aussi des chapitres sans lien direct avec le cycle christique, enfin des différences dans le découpage et la structuration des textes, même quand ils leur sont communs ; les intitulés rubriqués, notamment, mettent l’accent sur des épisodes différents.
Le cycle christique dans les quatre manuscrits est ainsi le reflet d’une réflexion en cours de gestation, que nous tenterons de comprendre au travers de l’examen des choix des copistes, mais aussi de restituer dans le panorama plus large des cycles semblables dans d’autres légendiers méthodiques.
Christopher Lucken (Universités de Paris-VIII et de Genève)
« Ouvrage didactique ou lettre d’amour ? Le Bestiaire d’Amours de Richard de Fournival à la lumière de son environnement textuel »
À travers l’étude de la tradition manuscrite du Bestiaire d’Amours de Richard de Fournival et des textes qui l’accompagnent dans la vingtaine d’exemplaires qui l’ont conservé, nous mettrons en évidence les lectures divergentes dont il a pu faire l’objet au moyen âge et dont semblent témoigner les différents textes auxquels les scribes ou leurs commanditaires l’ont associé, textes que l’on peut rassembler en deux groupes : d’une part, les ouvrages didactiques, moraux ou encyclopédiques (comme l’Image du monde), d’autre part, les arts d’aimer et apparentés. Si nous prendrons en considération la totalité des manuscrits contenant cette œuvre de sorte à avoir une vision d’ensemble, nous choisirons un certain nombre d’entre eux afin d’en offrir une étude plus précise.
Milena Mikhaïlova (Université de Limoges)
« Jointures à distance : le cas du manuscrit BnF, f. fr. 24301 »
Daté du dernier tiers du XIIIe siècle, le manuscrit BnF, f. fr. 24301 est un exemple doublement privilégié pour la réflexion sur la mise en recueil comme pratique éditoriale. À cette période de transition qui voit apparaître, à côté des collections très diversifiées, des regroupements d’œuvres d’un même auteur, ce manuscrit est à la fois un recueil collectif et un recueil individuel, la dernière œuvre – le Roman de Beaudous – enchâssant elle-même la quasi totalité des textes de Robert de Blois. L’ensemble du corpus affiche ainsi partiellement une intention cohésive que l’on verra se répercuter sur la totalité du manuscrit. Il s’agira de réfléchir sur les jointures qui se manifestent – à l’encontre de nos attentes de cohérence – en deçà des genres et des individualités textuelles mais qui ont pourtant des implications sur les genres et sur les textes singuliers.
Brigitte Roux (Université de Genève)
« Le Livre du Trésor de Brunetto Latin et la représentation de l’auteur »
Cette communication touchera la représentation des diverses techniques d’écriture mises en œuvre dans l’encyclopédie élaborée par Brunetto Latini, dont la compilation. En effet, Brunetto évoque d’entrée de jeu dans le prologue qu’il agit avant tout comme compilateur, et pour ce faire convoque les « dits des auteurs ». Comment alors les enlumineurs restituent-ils, s’ils le font, ce mode de faire bien particulier aux encyclopédistes, même s’il ne leur est pas exclusif ? Si un certain nombre d’enluminures semblent bel et bien traduire littéralement cette fonction – accumulation de livres sur le pupitre de l’auteur par exemple –, d’autres la mettent en scène de façon plus détournée – éviction de « l’auteur Brunetto » en faveur d’une Autorité, parfois métaphorique; images témoignant de l’accumulation entre autres.
Cet aspect du travail de l’encyclopédiste ne se limiterait pas à Brunetto Latini mais prendrait en compte Vincent de Beauvais, ou encore Barthélemy l’Anglais.
Marie-Laure Savoye (IRHT)
« Semis, transplantation et greffe : les techniques de la compilation dans le Rosarius »
Le manuscrit français 12483 de la Bibliothèque nationale (2e quart du XIVe siècle) contient une compilation religieuse qui a très tôt attiré l’attention des philologues, le Rosarius. Œuvre dévotionnelle et encyclopédie, elle est le travail d’un prédicateur particulièrement méticuleux, qui a pris soin de baliser précisément son texte afin qu’au premier coup d’œil, le lecteur distingue les mots qui sont les siens, et ceux qu’il a empruntés à d’autres, identifiés ou non. Mais au delà de ce premier repérage, il vaut la peine de mener une réflexion globale sur les diverses techniques employées pour s’approprier un héritage livresque tout aussi hétéroclite qu’abondant. Pour faire croître son rosier, nous voyons ainsi l’auteur se livrer à trois grands types de travaux : le semis (quand le texte source ne fournit que le germe d’un développement, en particulier dans les descriptions de choses et les narrations); la transplantation (pour des textes aux marges des chapitres, appendices-épilogues dont le lien avec le corps de l’œuvre reste extrêmement conjoncturel); la greffe (lorsque s’enchevêtrent fragments des uns et des autres pour ne former plus qu’un seul arbre, plus riche et plus vigoureux de chacun des apports nouveaux).
Je proposerai un parcours dans l’ensemble du recueil à la recherche du lexique employé par le compilateur pour présenter sa méthode, suivi de l’étude de deux trois chapitres permettant d’observer de près le processus de création.
Alison Stones (Pittsburgh University)
« Le rôle des prières dans les recueils : les Miracles de Nostre Dame de Gautier de Coinci »
Le recueil médiéval échappe le plus souvent à nos classifications modernes des genres livresques. Le cas des prières de Gautier de Coinci en fournit un témoignage. Les recueils consacrés à l’œuvre complète de Gautier les incluent pour la plupart. En revanche, les prières, ou un choix de prières, ont le plus souvent été transmises dans un tout autre contexte, dans des mélanges littéraires ou des compilations de textes hagiographiques ou édifiants, ou encore dans des livres d’heures ou des livres de prières. Leur présence est souvent passée sous silence dans les catalogues de manuscrits, car rares sont les exemples où les prières sont introduites par une miniature ou une initiale enluminée. Celles-ci témoignent d’un intérêt tout particulier de la part du ou de la commanditaire, parfois représentés comme un Théophile priant devant la Vierge à l’enfant. Dans d’autres cas, c’est l’emplacement et le contexte textuel qui fournissent de précieux indices concernant la popularité de ces prières pour un public varié au fil des siècles.
Richard Trachsler (Universités de Paris IV-Sorbonne et de Zurich; Institut universitaire de France)
« Observations sur les ‘recueils de fabliaux’ »
Les recueils contenant des fabliaux offrent un terrain d’enquête aussi intéressant que miné : les quelques cent trente fabliaux certifiés se répartissent sur un nombre d’exemplaires somme toute assez limité qui offrent, de surcroît, une configuration assez hétérogène. En simplifiant un peu, on peu dire que nous connaissons un très petit nombre de recueils qui contiennent beaucoup de fabliaux et une très grande quantité de manuscrits qui ne donnent qu’un seul fabliau. Entre ces deux pôles se situent les recueils qui en donnent quatre, cinq ou six. On peut donc légitimement se demander ce qu’ils ont en commun. On proposera ici une petite enquête sur les recueils de fabliaux offrant peu de fabliaux afin d’examiner leur spécificité propre ... si celle-ci existe.