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– Groupe du Prof. Martin J. Gander, Section de mathématiques; © Matemateca (IME/USP)/Rodrigo Tetsuo Argenton –

 

Publiées en 1787 par E. Chladni, ces figures apparaissent lorsqu’un archet de violon frotte une plaque métallique couverte de sable. La précision de ses dessins est d’autant plus remarquable lorsqu’on la compare à une modélisation mathématique.Si ces images permettent de voir le son, un son permet-il de décrire la forme d’un tambour?

 

En 1787, Ernst F. F. Chladni, musicien et physicien de Wittenberg, découvre que, lorsqu'il frotte l'archet de son violon sur une plaque métallique, il peut faire des sons plus ou moins aigus, selon l'endroit où il a touché la plaque avec l'archet. La plaque est fixée au centre, et lorsqu'il y a de la poussière ou du sable dessus, chaque son différent fait apparaître un nouveau dessin. Ce sont les figures de Chladni.

Que représentent ces figures ? Lorsqu’on frotte la plaque avec l’archet, elle se met à vibrer et cette vibration engendre des ondes stationnaires qui produisent le son. Le sable se positionne alors sur les endroits de la plaque qui ne vibrent pas, ce qui correspond aux nœuds des ondes stationnaires.

Les figures de Chladni ont rapidement retenu l'attention des scientifiques en raison de leur fascinante beauté et les tentatives de résolutions numériques du problème sont nombreuses. En 1833, Wheatstone tente une première approximation à l'aide de sinus et cosinus, mais ce n’est qu’en 1850 que le modèle mathématique correct est proposé par Kirchhoff qui expose de plus une résolution du cas où la plaque est circulaire. Depuis lors, de nombreuses tentatives ont été faites par les mathématiciens mais, comme le résume Lord Rayleigh en 1894 :

Le Problème d'une plaque rectangulaire dont les bords sont libres, est une des plus grandes difficultés et a résisté aux attaques dans la plupart des cas.

En 1909, Walter Ritz, physicien théoricien suisse, publie dans son article Theorie der Transversalschwingungen einer quadratischen Platte mit freien Rändern une méthode pour calculer numériquement les figures de Chladni.

Si cette méthode a été immédiatement utilisée en Russie dans le but de résoudre de difficiles problèmes d'ingénierie, son accueil en Europe occidentale est plus mitigé, car les mathématiciens du début du 20e siècle sont plus à la recherche d'une démonstration d'existence et d'unicité que d’une méthode de résolution numérique même efficace.

Ce n’est qu’en 1941 que Courant reconnait enfin la valeur de la méthode de Ritz :

Comme Henri Poincaré l'a fait remarquer, « résoudre un problème mathématique » est une expression ambiguë. Un mathématicien se satisfait parfois du fait que la non-existence d'une solution implique une contradiction logique, tandis que pour un ingénieur le seul objectif raisonnable est la détermination d'une solution numérique. Ces vues unilatérales reflètent plutôt des limites humaines que des valeurs objectives.

De nos jours, la méthode de Ritz-Galerkin (du nom du mathématicien russe qui l’a popularisée en Russie) est l'outil fondamental pour résoudre des équations aux dérivées partielles.

Si Ritz faisait tous ses calculs à la main avec une surprenante précision, c’est maintenant les ordinateurs qui calculent. Mais pour cela, il faut les programmer correctement. Trouver des méthodes informatiques permettant ce genre de calculs et démonter leur efficacité est un des enjeux des recherches actuelles en analyse numérique.

Si l’analyse numérique permet de dessiner très précisément les figures engendrées par les sons, c’est vers l’algèbre, et plus précisément la théorie des groupes qu’il faut se tourner pour répondre à la question un son permet-il de décrire la forme d’un tambour ?Cette question, posée en 1966 par le mathématicien américain d'origine polonaise Mark Kac, n’a trouvé une réponse définitive qu’en 1992.

Comme pour la plaque vibrante, le son émis par un tambour correspond à la superposition des fréquences propres des ondes stationnaires, avec pour chaque fréquence une amplitude qui dépend de la manière dont on a excité le tambour. Constatant que, a priori, des formes différentes conduisent à des spectres distincts, la question posée par Kac revient à se demander si la forme du tambour est déterminée de manière univoque par le spectre. Autrement dit, existe-t-il des tambours isospectraux, c’est-à-dire ayant des formes différentes mais le même spectre de fréquences propres ? Après plus de deux décennies de recherches en mathématiques, au cours desquelles des formes isospectrales incluses dans des espaces de plus de trois dimensions ont été trouvées, la première paire de tambours isospectraux à deux dimensions fut découverte en 1992.

 

Texte sur les vibrations du tambour librement adapté de [3]

Références

  1. M.J. Gander and F. Kwok. Chladni Figures and the Tacoma Bridge: Motivating PDE Eigenvalue Problems via Vibrating Plates. SIAM Review, Vol. 54 No. 3, pp. 573-596, 2012. DOI: https://doi.org/10.1137/10081931X. Disponible via l'UNIGE
  2. C. Gordon and D. Webb. You Can't Hear the Shape of a Drum. American Scientist, Vol. 84 No. 1, pp. 46-55, 1996. Disponible via l'UNIGE
  3. C. Even et P. Pieranski. Entendre la forme d'un tambour. Images de la physique, pp.89-96, 1998. Disponible en Open acces

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2 nov. 2017

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