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Des programmes génétiques complexes à l’origine de nos mouvements

Une équipe de l’UNIGE a découvert les programmes génétiques qui permettent aux neurones moteurs de se rétracter de la moelle épinière. Cette découverte ouvre des perspectives pour lutter contre la neurodégénérescence.

© Philipp Abe et Advanced Lightsheet Imaging Center Campus Biotech. L’image montre les neurones cortico-spinaux dans un cerveau de souris.


Le cortex moteur est composé de neurones responsables de la contraction musculaire. Ces derniers possèdent des extensions cellulaires appelées axones qui se projettent du cortex jusque dans la moelle épinière. Pendant le développement cérébral, ils peuvent se transformer en d’autres types de neurones avec des projections, non pas dans la moelle, mais dans le cerveau. Comment ce processus s’opère-t-il? Des neuroscientifiques de l’Université de Genève (UNIGE) ont découvert que tout est affaire de programmes génétiques. Nos gènes décident en effet quelles parties du cortex seront dédiées à nos fonctions motrices en guidant les projections neuronales. Cette découverte fondamentale, à lire dans la revue Nature, ouvre de nouvelles perspectives pour contrer les troubles de la motricité.

Le cortex cérébral est la partie externe du cerveau responsable des fonctions cognitives supérieures, comme la pensée, la perception, la prise de décision, le langage et la mémoire. Il permet aussi de traiter les informations sensorielles et de contrôler les mouvements. Pour ce faire, il dédie une partie de son volume au mouvement: le cortex moteur. C’est de là que les neurones responsables de la contraction musculaire — les neurones cortico-spinaux — projettent jusque dans la moelle épinière. Cependant, malgré la compartimentation du cortex, on retrouve des neurones cortico-spinaux en dehors du cortex moteur. Pourquoi?

Sélection au cours du développement

Pour répondre à cette question, les neuroscientifiques se sont tourné-es vers la souris. «Les technologies actuellement à notre disposition ne nous permettent pas d’investiguer ces questions chez l’humain. De plus, les neurones cortico-spinaux sont très conservés à travers les espèces et peuvent donc être étudiés chez les rongeurs», indique Denis Jabaudon, professeur ordinaire au Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de l’UNIGE et initiateur de l’étude.

Grâce à des approches permettant de rendre les tissus du cerveau transparents et de colorer spécifiquement un type de neurones, l’équipe de recherche a d’abord étudié l’évolution des projections cortico-spinales au cours du développement cérébral. «Nous avons ainsi confirmé une observation fascinante faite il y a des décennies, mais qui restait peu connue des neuroscientifiques», précise Denis Jabaudon.

Au début du développement cérébral, en effet, les neurones du cortex projettent dans la moelle épinière. Ceux qui formeront le futur cortex moteur y restent, tandis que ceux qui constitueront le reste du cortex se rétractent graduellement. Au final, dans un cerveau adulte, il reste des neurones cortico-spinaux qui peuvent agir loin, jusque dans la moelle épinière, et d’autres dont le rayon d’action est moins profond, et qui restent dans le cerveau proprement dit.

Un programme génétique dédié

L’équipe de Denis Jabaudon a ensuite comparé les gènes exprimés par ces deux types de neurones et a identifié une famille de gènes responsable de la capacité des neurones à se rétracter. «Sans eux, nos neurones corticaux resteraient ancrés dans la moelle épinière et notre cortex serait probablement dénué de ses fonctions cognitives supérieures», explique Denis Jabaudon.

Pour démontrer l’importance de ce programme génétique, les chercheurs et les chercheuses ont concentré leur attention sur trois de ses gènes et ont pu, grâce à des techniques d’édition de gènes comme CRISPR-Cas9, moduler leur expression dans les neurones ayant des projections dans la moelle épinière. «Il s’agissait d’un important défi technique et d’une nouvelle manière d’évaluer l’influence d’un ensemble de gènes», se réjouit Denis Jabaudon. Il a ainsi été possible de forcer la rétraction des neurones depuis la moelle épinière jusqu’à ce qu’ils se retrouvent dans le cerveau.
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Mieux comprendre la motricité fine

«Le fait de comprendre comment les neurones cortico-spinaux émergent au cours du développement et comment ils projettent dans notre système nerveux central est important, car ils sont essentiels pour la motricité fine. Ils sont cependant très sensibles aux lésions de la moelle épinière ou encore aux dommages causés par la sclérose latérale amyotrophique, une maladie qui induit une paralysie progressive», indique Denis Jabaudon. «Dans cette étude, nous avons réussi à forcer la rétraction des neurones. Mais tout porte à croire que l’inverse est réalisable, ce qui ouvre de fascinantes possibilités», rajoute-t-il. L’équipe de recherche envisage désormais de reprogrammer des cellules neurales dans d’autres contextes, lors de pathologies neurodégénératives par exemple.

23 sept. 2024

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