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Détecter les nœuds d’ADN pour inhiber les agents pathogènes

Des scientifiques de la Faculté de médecine de l’UNIGE ont élucidé comment le complexe protéique SMC5/6 détecte l’ADN extrachromosomique, une propriété qui lui permet de lutter contre les infections virales. Cette découverte pourrait entraîner des répercussions allant au-delà de la seule réponse antivirale. En effet, de nombreuses cellules cancéreuses contiennent également de l'ADN extrachromosomique, ce qui ouvre de nouvelles perspectives pour la recherche en oncologie. Des résultats à lire dans la revue Nature Communications.

Aurélie Diman, UNIGE. Image autoradiographique "Pop Art" illustrant la migration d'ADNs circulaires extrachromosomiques de topologie opposée lors de l'électrophorèse bidimensionnelle en gel d'agarose (2D). Image modifiée avec https://www.bloggif.com/pop-art.


Le complexe protéique SMC5/6 est indispensable à la stabilité du génome, jouant un rôle crucial dans l'organisation des chromosomes et la réparation de l'ADN. En 2016, l'équipe du professeur Michel Strubin du Département de microbiologie et médecine moléculaire de la Faculté de médecine de l'UNIGE a découvert que ce complexe est un acteur clé dans la défense antivirale, notamment contre le virus de l'hépatite B. Depuis, SMC5/6 a démontré son efficacité face à plusieurs autres virus pathogènes pour l’être humain, élargissant ainsi son champ d'action dans la lutte contre les infections.

Aurélie Diman, post-doctorante au Département de microbiologie et médecine moléculaire, décrit la découverte faite avec ses collègues : « Depuis 2016, nous savions que le complexe SMC5/6 pouvait se lier au génome de l’hépatite B et à tout ADN introduit artificiellement dans les cellules, à conditions que cet ADN reste extrachromosomique, c’est à dire situé en dehors des chromosomes de la cellule hôte. Toutefois, dès que cet ADN s’intégrait dans les chromosomes, cette liaison était perdue. Cela suggère que le complexe SMC5/6 est capable de détecter une caractéristique particulière de l’ADN extrachromosomique. C’est cette signature spécifique que nous avons identifiée ici. »

Cibler l’ADN extrachromosomique

Pour agir, le complexe SMC5/6 se lie à l'ADN extrachromosomique, puis transporte ce matériel génétique «étranger» vers un sous-compartiment du noyau cellulaire, où il bloque son expression. En cas d'infection virale, cette action empêche la multiplication du virus, faisant de SMC5/6 à la fois un détecteur et un inhibiteur. «La question fondamentale était de comprendre comment le complexe SMC5/6 reconnaît les fragments d'ADN à cibler,» explique Aurélie Diman.

Détecter les nœuds d’ADN

En utilisant de l'ADN extrachromosomique viral et non viral, les scientifiques ont démontré que, dans nos cellules, le complexe SMC5/6 privilégie l'ADN extrachromosomique de forme circulaire par rapport à l'ADN linéaire, et montre une affinité particulière pour l'ADN fortement exprimé. En effet, lorsqu’il s’exprime, l’ADN peut se tordre dans un sens ou dans l’autre et créer des structures spécifiques, telles que des torsades ou des nœuds. Ces structures particulières agissent alors comme des balises, permettant à SMC5/6 de reconnaître sa cible.

Les scientifiques ont pu mettre cela en évidence grâce à une technique quelque peu tombée dans l'oubli: l'électrophorèse en gel d'agarose bidimensionnelle. Cette méthode permet d'identifier les variations de forme de la molécule d'ADN ou sa topologie. La technique repose sur deux étapes de migration successives: la première sépare les molécules d'ADN en fonction de leur taille, tandis que la seconde, réalisée perpendiculairement, distingue les molécules en fonction de leur topologie. «Malgré les progrès technologiques et le développement de nouvelles méthodes, cette technique demeure, à ce jour, la méthode de référence pour déterminer le sens de torsion de l’ADN », souligne Aurélie Diman.

Les cellules cancéreuses également concernées ?

Les répercussions de cette découverte dépassent largement le domaine de la virologie. En effet, des ADN circulaires extrachromosomiques, qui expriment fortement des gènes favorisant la croissance tumorale, sont présents dans une proportion significative de cancers. «Nous souhaitons maintenant approfondir notre compréhension des mécanismes moléculaires qui régissent l’activité du complexe SMC5/6 afin de déterminer comment les ADN extrachromosomiques des cellules cancéreuses échappent à son contrôle », concluent les auteur-es.

9 sept. 2024

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