La douce précision de l’assemblage des flagelles
La construction de la machinerie motrice des bactéries, les flagelles, nécessite l’assemblage de nombreuses protéines. L’ajout de sucre et la présence d’un point de contrôle sont des étapes clés identifiées par des scientifiques de l’UNIGE.
Image de microscopie électronique de Caulobacter crescentus illustrant les deux cellules filles produites lors de la division cellulaire. Une seule des cellules filles possède un flagelle (structure filiforme à droite de l'image). © UNIGE/VIOLLIER
Afin d’obtenir la machinerie permettant aux bactéries de nager, plus de 50 protéines doivent être assemblées selon une logique et un ordre bien défini pour former le flagelle, l’équivalent cellulaire d’un moteur de bateau. Pour être fonctionnel, le flagelle s’assemble élément par élément, en terminant par l’hélice appelée filament flagellaire composé de six différentes protéines appelée flagellines. Des microbiologistes de l’Université de Genève (UNIGE) démontrent que l’ajout de sucre sur les flagellines est déterminant pour l’assemblage et la fonctionnalité du flagelle. Cette glycosylation est assurée par l’enzyme FlmG, dont le rôle était jusqu’ici inconnu. Partant de cette observation, accessible dans la revue eLife, les chercheurs/euses ont enchaîné avec une autre découverte publiée dans Developmental Cell. Les six flagellines de Caulobacter crescentus, bactérie modèle de ces deux études, contiennent une intruse qui servirait de signal pour enclencher l’assemblage final du flagelle.
Le flagelle est l’engin locomoteur des bactéries. Grâce à lui, elles peuvent nager pour trouver leur nourriture ou pour infecter leurs hôtes . Comparable à un moteur d’offshore en raison de sa complexité, le flagelle est composé d’une structure de base, d’un rotor et d’une hélice. Sa fabrication a lieu à l’intérieur des bactéries, dans leur cytosol. «L’assemblage des 50 protéines doit se faire séquentiellement et dans le bon ordre», indique Patrick Viollier, chercheur au Département de microbiologie et médecine moléculaire de l’UNIGE. Le flagelle doit ensuite être intégré dans l’enveloppe bactérienne qui contient jusqu’à trois couches selon le type de bactérie, pour se retrouver à l’extérieur. La subtilité des mécanismes d’assemblage et d’adressage du flagelle reste mal comprise.
Douce surprise
Les microbiologistes de l’UNIGE étudient les bactéries Caulobacter crescentus. «Ces dernières sont très intéressantes pour l’étude des flagelles, car elles donnent naissance à deux cellules filles différentes. L’une comporte un flagelle et l’autre pas. C’est un modèle idéal pour la compréhension des mécanismes nécessaire à l’assemblage du flagelle.», indique Nicolas Kint, co-auteur de l’étude. Autre particularité, le filament flagellaire de cette bactérie est un assemblage de six sous-unités, et n’est donc pas issue de la polymérisation d’une seule protéine, comme c’est le cas dans d’autres bactéries. «En analysant ces six sous-unités, nous avons découvert qu’elles étaient ornées de sucres, indiquant qu’une étape de glycosylation —réaction enzymatique ajoutant des sucres aux protéines— avait lieu. Une découverte surprenante, car cette réaction est peu présente dans les bactéries.», précise Patrick Viollier.
Son équipe de recherche a pu démontrer que la glycosylation des six flagellines est essentielle à la formation et à la fonctionnalité du flagelle. «Pour le démontrer, nous avons d’abord identifié le gène produisant l’enzyme de glycosylation, FlmG. Son absence conduit à des bactéries sans flagelles. Dans un deuxième temps, nous avons modifié génétiquement un autre type de bactérie, Escherichia coli, pour lui faire exprimer une des six flagellines, l’enzyme de glycosylation et les enzymes produisant le sucre de Caulobacter crescentus. Tous ces éléments sont requis pour obtenir une flagelline sucrée et donc un flagelle fonctionnel», raconte Nicolas Kint.
Un mouton noir polyvalent
«Les différents éléments du flagelle sont produits les uns après les autres, les molécules de la base d’abord, puis celles du rotor et enfin l’hélice. La littérature scientifique indique que ce processus séquentiel est important. Nous ignorons par contre comment les séquences de fabrication sont déclenchées.» Le chercheur et son équipe se sont focalisés sur la synthèse des six flagellines composant le filament flagellaire. Parmi elles, ils ont découvert un mouton noir: une flagelline qui n’a que 50% d’homologie de séquence avec les cinq autres. «Cette sous-unité est devenue un point de contrôle pour coordonner la synthèse des protéines du filament.», indique Patrick Viollier. Présente avant la synthèse des cinq autres sous-unités, elle agit comme un régulateur négatif. Tant qu’elle est présente dans le cytosol, la synthèse des autres flagellines n’est pas déclenchée. Une fois les éléments du flagelle assemblés, hors filament, la sous-unité est exportée vers l’extérieur de la bactérie avec eux. La synthèse des dernières cinq sous unités peut alors débuter. «C’est un capteur de la synthèse protéique et un composant du filament flagellaire à la fois. Une double fonction unique en son genre», s’enthousiasme le microbiologiste.
Cette découverte est fondamentale pour comprendre la motilité des bactéries et l’assemblage des protéines. «Elle apporte également des éléments de compréhension pour la synthèse et l’assemblage de la tubuline, un élément essentiel du cytosquelette», conclut Patrick Viollier.
27 oct. 2020