La production de dopamine n’est pas à l’origine de l’abus de cocaïne
Une équipe de l’UNIGE montre que notre capacité de production de l’«hormone du bonheur» ne serait pas corrélée à une vulnérabilité accrue aux drogues.
Indice de la capacité de synthèse de la dopamine, chez des rats fortement et faiblement impulsifs avant et après l'auto-administration répétée de cocaïne. © 2024 Urueña-Méndez et al.
Pourquoi certaines personnes qui consomment de la drogue développent-elles une addiction et pas d’autres? Cette question intrigue depuis de nombreuses années les scientifiques. Une équipe de l’Université de Genève (UNIGE) a exploré l’interaction complexe entre les traits de personnalité et la chimie du cerveau. Elle a étudié plus précisément l’influence de l’impulsivité et de la production de dopamine, communément appelée «hormone du bonheur», sur le risque d’abus de cocaïne. Ces résultats, publiés dans eNeuro, offrent de nouvelles clés pour comprendre la vulnérabilité à l’abus de drogues. Ils pourraient conduire au développement d’interventions plus ciblées pour les personnes à risque.
Quand une personne consomme une drogue addictive, sa libération de dopamine augmente, créant un sentiment d’euphorie. Lors d’une consommation répétée, cette libération de dopamine diminue, augmentant potentiellement la consommation de la personne, pour retrouver cet état. Ce mécanisme varie d’un individu à l’autre: certaines et certains montrent une plus grande propension à consommer de la drogue que d’autres. Les raisons de ces différences ne sont toutefois pas connues.
La cocaïne n’affecte pas la capacité de production de dopamine
Dans une récente étude, une équipe de l’UNIGE a exploré l’interaction complexe entre différents comportements impulsifs, la production de dopamine et la consommation de drogue, en particulier la cocaïne. Une personnalité impulsive est-elle davantage sujette à l’abus de drogues? Produit-elle plus ou moins de dopamine? Pour le savoir, les scientifiques ont étudié deux groupes de rats, l’un composé d’individus très impulsifs, l’autre d’individus moins impulsifs. Ces animaux ont été entraînés à s’auto-administrer de la cocaïne à une dose qui déclenche des neuroadaptations dopaminergiques, sans nuire à leur santé.
Les scientifiques ont d’abord entraîné les animaux dans le cadre d’un jeu de hasard visant à mesurer deux comportements impulsifs: l’action impulsive - l’incapacité à contrôler les actions automatiques - et la prise de décision risquée - l’acceptation d’un plus grand risque lors de la prise de décision. Les scientifiques ont ensuite mesuré le niveau de production de la dopamine à l’aide d’une technique de neuro-imagerie non invasive, avant et après la prise de cocaïne, dans les deux groupes de rats. L’équipe a constaté que les actions impulsives, mais pas la prise de décision risquée, prédisaient un plus grand nombre d’injections de cocaïne et une consommation plus rapide.
«Cependant, nous avons observé qu’il n’y avait pas de différences dans la capacité à produire de la dopamine entre les animaux très impulsifs et les animaux moins impulsifs. En d’autres termes, l’impulsivité et la vulnérabilité à l’abus de cocaïne ne seraient pas liées à la production de dopamine, mais à des mécanismes contrôlant sa libération», explique Ginna Paola Urueña-Méndez, doctorante au Département de psychiatrie et au Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de l’UNIGE, et première auteure de l’étude.
L’équipe a ensuite évalué la consommation répétée de cocaïne et son impact sur les niveaux de dopamine dans les deux groupes de rongeurs. «Jusqu’à présent, l’idée selon laquelle la consommation régulière de cocaïne pouvait réduire la capacité à produire de la dopamine était acceptée. Nos résultats contredisent cette hypothèse puisque les deux populations de rats ont conservé la même capacité à produire de la dopamine, malgré une consommation chronique», explique Nathalie Ginovart, professeure associée au Département de psychiatrie et au Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de l’UNIGE, qui a dirigé cette recherche.
Vers l’identification d’autres mécanismes
Ces résultats suggèrent que la production de la dopamine n’est probablement pas le principal moteur de l’impulsivité ou de la vulnérabilité à la consommation de cocaïne. Ils contredisent également l’hypothèse selon laquelle la consommation de cocaïne pourrait directement réduire la capacité de production de dopamine.
Ces travaux constituent une avancée significative dans la recherche sur la toxicomanie. Ils ouvrent la porte à l’exploration d’autres mécanismes pouvant expliquer la vulnérabilité aux drogues. «Cette variation de vulnérabilité pourrait être liée à la relative réactivité des neurones dopaminergiques, de sorte que certains stimuli, y compris les drogues, sont plus saillants chez les animaux plus impulsifs», estiment les chercheuses. L’équipe poursuit actuellement ses travaux afin d’évaluer comment les mécanismes contrôlant la réactivité des neurones dopaminergiques influencent la vulnérabilité à l’abus de drogues.
4 mars 2024