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Comment voyager entre la recherche académique et le monde des startups?

Déposer des brevets ou créer une startup pour valoriser sa recherche? Aujourd’hui, bon nombre de chercheuses et chercheurs sautent le pas. À la Faculté de médecine, le professeur Karl-Heinz Krause a fait figure de pionnier. Au cours de sa carrière, il a été l’inventeur le plus prolifique de l’UNIGE avec 43 annonces d’inventions, 17 demandes de brevets et la création de 6 startups. Il a également été le lauréat de la médaille de l’innovation de l’UNIGE. Professeur honoraire depuis quelques mois, il est aujourd’hui président de la Fondation pour recherches médicales. Rencontre.

Numéro 49 - juin 2024

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Vous qui venez de la recherche fondamentale, qu’est-ce qui vous a attiré dans le monde des startups?

Sans recherche fondamentale, aucune recherche translationnelle n’est possible, car il n’y a alors rien à traduire. Cependant, depuis le début de ma carrière de médecin et de chercheur, je voulais que le résultat de mes recherches puisse avoir un impact concret, utile à la société. Il s’agissait aussi pour moi d’une question de redevabilité vis-à-vis de la population qui finance la recherche publique. Il me paraît juste que les scientifiques travaillent aussi pour l’intérêt général, au travers de découvertes biomédicales, mais aussi en créant une richesse entrepreneuriale. Or, pour qu’une découverte scientifique puisse ensuite être appliquée, il faut la valoriser, notamment au travers de brevets ou de création industrielle.  Il ne peut donc pas y avoir d’innovation biomédicale sans, à la base, une recherche fondamentale de très haut niveau. Ce n’est donc pas l’un ou l’autre, mais les deux, main dans la main.

Au cours de votre carrière, avez-vous vu une évaluation au sein du milieu académique sur la manière dont est considérée la valorisation industrielle?

Le plus grand changement est à mon sens le regard porté sur la recherche appliquée. Si elle a longtemps été moins bien considérée que « la science pure », ce n’est plus vrai aujourd’hui. Les jeunes générations démontrent d’un esprit entrepreneurial très aiguisé ! Le milieu académique évolue, et c’est pour moi une bonne nouvelle. S’il n’est encore pas si aisé de conjuguer les deux, une certaine mobilité commence à s’installer. Les nouveaux instruments d’évaluation des carrières académiques donnent aussi un signal positif. En se détachant de la «dictature de l’impact factor» pour mieux valoriser l’enseignement, la vulgarisation scientifique ou encore la création d’innovation, l’Université montre bien son intérêt à s’ouvrir plus largement à d’autres secteurs de la société. De plus, un poste professoral n’est plus forcément le graal pour les jeunes scientifiques. Une carrière industrielle, devenir CEO de sa propre startup par exemple, est tout aussi attirante.

Unitec, le bureau de transfert de technologie de l’UNIGE, des HUG et de la HES-SO Genève, est devenu un soutien essentiel dans ce domaine…

Unitec est devenu indispensable, de la déclaration d’invention à la création de startup, en passant par le dépôt de brevet ou la licence d’exploitation. Très tôt dans le processus, ses équipes sont là pour évaluer le potentiel commercial d’une innovation, accompagner les chercheuses et les chercheurs dans des procédures longues et coûteuses, et apporter des compétences larges — juridiques, entrepreneuriales, financières — que ne maîtrisent pas les scientifiques. De plus, la politique institutionnelle en matière de propriété intellectuelle est favorable aux inventeurs et inventrices. D’autres initiatives ont vu le jour, avec plus ou moins de succès, qui ont permis de mieux cerner les besoins des chercheuses et des chercheurs, et surtout à quel stade de développement cela est utile. Il faut cependant bien se rendre compte que de la bonne idée à la valorisation industrielle, le chemin est long et difficile!

En parlant de startups issues de la Faculté de médecine, quelles seraient les plus emblématiques? Et quelques exemples actuels d’innovations?

À la Faculté de médecine, deux fleurons de la biotechnologie sont issus de nos rangs: Novimmune (maintenant Light Chain Bioscience), spécialiste des anticorps monoclonaux et Amal Therapeutics, actif dans les immunothérapies contre le cancer. Ces deux entreprises ont été valorisées à plus d’un demi-milliard de francs chacune. Bien évidemment, toutes les startups n’ont pas le même destin, mais il y en a plusieurs qui commencent à rencontrer un joli succès.

Antion Bioscience, qui visait le développement de technologies de micros RNA pour protéger le système immunitaire de l'infection HIV, s’est réorienté avec succès vers l’ingénierie de cellules immunitaires contre le cancer. J’aimerais aussi citer Vanarix, qui travaille sur des thérapies cellulaires pour la régénération du cartilage. Ou encore Heketiss, qui met au point des sparadraps biologiques, ou Diatheris, qui travaille à la mise au point d'un traitement du diabète de type 1. Dans le domaine un peu différent des medtechs — les dispositifs médicaux innovants — une petite startup issue des HUG est en train d’émerger: HeroSupport, qui fabrique des dispositifs sur mesure pour améliorer les traitements par radiothérapies des cancers du sein. Des innovations très variées, et des entreprises à différents stades de développement.

Quelle est l’une des principales difficultés rencontrées?

La levée de fonds est l’une des phases les plus délicates de la création de startup. Aujourd’hui, l’Etat de Genève et certaines fondations, comme la FONGIT,  soutiennent l’innovation genevoise en investissant directement ou en facilitant les contacts avec d’autres investisseurs. De plus, certaines startups prennent un chemin un peu différent en adoptant un modèle de structure à but non lucratif. Cela permet d’accéder à d’autres types de subsides, surtout dans des domaines où les investisseurs manquent, comme les maladies rares ou les maladies négligées. 

Vous présidez maintenant la Fondation pour recherches médicales (FRM), dont l’un des objectifs est de soutenir les startups biomédicales.

La FRM n’a pour l’instant pas suffisamment de ressources financières pour investir directement dans des startups. Nous travaillons à identifier des mécanismes qui le permettraient, mais en attendant nous mettons à disposition pour un prix raisonnable des locaux et des laboratoires très bien équipés. Notre bâtiment de la Tulipe, situé stratégiquement entre les HUG et le CMU, est en effet un lieu privilégié pour les petites startup qui débutent, qui ont besoin d'un espace près de la Faculté de médecine pour profiter des plateformes de recherche et rester proches des réseaux facultaires.

La séparation d’une startup de sa maison mère est en effet un processus qui doit suivre le bon tempo. Au tout début, la startup reste dans le laboratoire de son créateur. Cependant, si une start-up reste trop longtemps à l’intérieur du système académique, elle continuera à fonctionner comme un groupe de recherche. Un passage de quelques années à la Tulipe est un bon intermédiaire, avant de couper entièrement le cordon lorsque l’entreprise est assez mature pour être entièrement indépendante. Le chemin est souvent long, mais tellement passionnant!

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