Pousser les cellules cancéreuses au suicide
Chaque jour, des millions de division cellulaire ont lieu dans notre corps. Pour qu’une cellule puisse donner naissance à deux cellules-filles, elle doit non seulement répliquer son ADN, mais aussi répartir les chromosomes équitablement entre les deux nouvelles cellules. Cette délicate répartition repose sur un réseau de microtubules complexe, coordonné par un couple de centrioles à chacun de ses deux pôles.
Dans des cellules normales le cycle de l’ADN et des centrioles est couplé, mais dans beaucoup de cancers ces deux cycles sont désynchronisés, causant une dérégulation de la division cellulaire. Il y a quelques années, les scientifiques du laboratoire du Prof. Patrick Meraldi ont mis en lumière une partie des mécanismes impliqués. Ils ont découvert que les couples de centrioles se déconnectent trop tôt, créant ainsi trois ou quatre pôles au lieu des deux normaux. Cette anomalie engendre des erreurs de répartition des chromosomes et favorise la croissance incontrôlée et anarchique des cellules cancéreuses. Cependant, les mécanismes moléculaires exacts à l’origine de la désynchronisation entre les deux cycles restaient encore à élucider.
Aux origines de la désynchronisation
Tirant parti d’une technique de microscope récemment développée par le laboratoire du Prof. Paul Guichard, à la Faculté des Sciences, l’équipe de recherche du Prof. Patrick Meraldi de la Faculté de Médecine a pu observer les couples de centrioles à une résolution spatiale et temporelle jusqu’ici inégalée. Ils ont ainsi découvert que l’origine de la désynchronisation réside dans le taux d’activité d’une protéine du nom de PLK1. PLK1 est connue depuis longtemps pour son rôle clé dans la division cellulaire, mais les scientifiques ont mis à jour une différence de sensibilité des deux cycles. Dans les cellules cancéreuses, PLK1 est active uniquement à 50%, ce qui est suffisant pour faire avancer le cycle des centrioles et séparer les couples de centrioles mais qui retarde le cycle de l’ADN. Les cellules cancéreuses induisent ainsi une dose modérée de stress qui perturbe la division cellulaire sans pour autant les mener à leur perte.
A gauche, dans une cellule normale, les couples de centrioles (en vert) se déconnectent à temps et créent deux pôles afin de donner naissance à deux cellules filles, alors qu’à droite, dans une celle cancéreuse, ils se déconnectent trop tôt, créant ainsi trop de pôles. © UNIGE – Laboratoire du Prof. Patrick Meraldi
Plutôt que de rétablir la situation, l’aggraver et pousser les cellules cancéreuses au suicide
Face à cette réponse différenciée à une activité donnée de PLK1, la stratégie la plus prometteuse est étonnamment non pas de rétablir la synchronisation entre les deux cycles, mais d’aggraver la situation afin de bloquer les cellules dans cet état qui, automatiquement, les forcera à mourir. En modifiant légèrement l’activité de PLK1, on pourrait induire un niveau de stress légèrement accru. Les cellules saines pourraient faire face à cette perturbation, alors que les cellules cancéreuses déjà en partie déréglées n’en seraient pas capables. Une molécule capable de pousser les cellules cancéreuses au suicide sans affecter les cellules saines permettrait de limiter les effets secondaires souvent lourds des traitements contre le cancer.