De l’obésité au cancer du foie: peut-on éviter le pire?
En identifiant le rôle d’une protéine particulière dans le développement des maladies du foie liées à l’obésité, des chercheurs de l’UNIGE ouvrent la voie à un diagnostic de précision et potentiellement à un meilleur traitement.
© UNIGE Cellules du foie en microscopie. À gauche, dans un foie sain, les cellules hépatiques sont organisées normalement. À droite, une accumulation de graisse (ronds blancs) est visible.
Le carcinome hépatocellulaire, un cancer du foie très commun lié à la présence de gras dans le foie, est l’une des causes principales de décès par cancer dans le monde. Avec le développement d’un mode de vie sédentaire et l’accroissement de la teneur en sucres et en graisse de notre alimentation, un nombre croissant d’individus sont à risque. Des scientifiques de l’Université de Genève (UNIGE) ont découvert une protéine impliquée dans l’évolution d’un «foie gras» vers un cancer. Nommée S100A11, elle pourrait non seulement permettre de détecter précocement le risque de développer un cancer du foie, mais également ouvrir la voie à de nouvelles thérapies ciblées. Ces résultats, à lire dans le journal Gut, mettent en lumière les liens étroits entre notre alimentation et le développement de certains cancers.
Le carcinome hépatocellulaire est le cancer du foie le plus commun. Il peut survenir dans le cadre d’une inflammation chronique du foie provoquée par un excès de graisse, faisant de l’obésité un facteur de risque important pour son développement. La difficulté à le détecter ainsi que le manque de traitements ciblés contribuent à en faire une maladie extrêmement grave, à l’origine du décès de plus de 700’000 personnes par an dans le monde. De plus, avec près de 41% de la population suisse en surpoids ou obèse, le nombre de cas pourrait augmenter de façon alarmante dans les prochaines décennies.
Quand le gras rend le foie malade
Parmi les plus grands organes de notre corps, le foie assure des fonctions essentielles et est impliqué dans le stockage des sucres et des graisses apportés par la nourriture. En cas d’alimentation trop riche, les cellules du foie accumulent le surplus sous forme de graisses, un trouble appelé maladie du «foie gras». Une inflammation et une accumulation de tissus fibreux peuvent ensuite se développer et même donner naissance à une cirrhose ou à un cancer. Ces dysfonctionnements, au départ asymptomatiques, passent souvent inaperçus ou sont considérés comme bénins. «On sait déjà qu’un foie gras peut s’inflammer et évoluer vers un cancer, mais on connait très mal les mécanismes moléculaires responsables de ces pathologies, explique Michelangelo Foti, professeur et directeur du Département de physiologie cellulaire et métabolisme de la Faculté de médecine de l’UNIGE, qui a dirigé ces travaux. La maladie du foie gras touche déjà près de 30% de la population mondiale et va très vite devenir un problème majeur de santé publique.»
Un réseau de protéines en cause
L’objectif des chercheurs de l’UNIGE était de détecter des modifications de l’expression de certaines protéines qui pourraient favoriser le développement du cancer. «Jusqu’à présent, les études se sont surtout concentrées sur les mutations génétiques associées au cancer du foie, mais cela n’a débouché sur aucun traitement efficace, ajoute Michelangelo Foti. C’est pour cela que nous sommes partis à la recherche d’autres altérations qui pourraient expliquer la progression d’un foie gras vers un état inflammatoire et un cancer.»
Il s’avère qu’un réseau de protéines, dérégulé sans qu’aucune modification génétique ne soit en cause, crée un environnement favorable au développement d’un cancer. Dans ce réseau, la protéine S100A11, a particulièrement retenu l’attention des scientifiques. «Nous avons d’abord découvert que S100A11 favorisait l’inflammation et une accumulation de tissus fibreux dans le foie», note Cyril Sobolewski, chercheur au Département de physiologie cellulaire et métabolisme et premier auteur de ces travaux. «Des tests supplémentaires ont montré que plus S100A11 est exprimée, plus grave est le cancer.»
Une cible thérapeutique?
La possibilité de détecter cette protéine grâce à une simple prise de sang permet d’envisager la détection précoce d’une inflammation du foie et de sa progression vers le cancer, dont l’évolution à bas bruit constitue l’un des paramètres de dangerosité. «Plus tôt le patient est pris en charge, plus ses chances de survies sont grandes, souligne Michelangelo Foti. «De plus, S100A11 pourrait constituer une cible thérapeutique prometteuse, indique Cyril Sobolewski. La prochaine étape serait de fabriquer un anticorps spécifique capable de piéger la protéine pour empêcher son effet cancérigène.» Ce type d’approche, appelée immunothérapie, a déjà donné des résultats prometteurs dans la lutte contre plusieurs cancers.