Détecter les troubles de l’attention avec plus de précision
En analysant la fluctuation des états cérébraux, des neuroscientifiques de Synapsy identifient un nouveau marqueur neurologique du trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité.
Le diagnostic adulte du trouble déficitaire de l’attention/hyperactivité (TDAH) est basé sur des critères d’inattention et d’impulsivité. Comme les causes du TDAH ont un fondement biologique, la découverte de biomarqueurs pourrait aider au diagnostic et au traitement de ce trouble aux conséquences parfois dramatiques pour la famille, la profession, la situation sociale et la sécurité des personnes concernées. Soutenus par le Pôle de recherche national Synapsy, des neuroscientifiques de l’Université de Genève (UNIGE), du Centre d’imagerie biomédicale (CIBM) et des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) se sont intéressé-es à une nouvelle approche d’électroencéphalographie (EEG) appelée «microstates», pour identifier les traces neurologiques du TDAH. La technique du microstates permet de considérer la dimension spatiale et temporelle de l’activité cérébrale. Grâce à elle, l’équipe de recherche a pu identifier qu’un état de l’activité cérébrale, associé au sommeil et à l’attention, était plus long chez les personnes avec un TDAH. Les résultats, à découvrir dans la revue Biological Psychiatry: Cognitive Neuroscience and Neuroimaging, identifient un nouveau biomarqueur robuste des TDAH et contribuent ainsi à faire évoluer la psychiatrie vers une discipline médicale de précision.
Légende: Les cinq micro-états cérébraux mesurés par EEG. Le micro-état cérébral D est plus marqué chez les personnes avec un TDAH et peut être utilisé comme biomarqueur détectable de manière non invasive. Une avancée pour le diagnostic de ce trouble psychiatrique très rependu et difficile à identifier. @Ros/UNIGE/HUG/CIBM
Le TDAH touche 5 % des adultes, ce qui en fait l’un des troubles psychiatriques les plus courants. Le diagnostic clinique est actuellement uniquement basé sur un questionnaire qui s’articule autour des symptômes clés d’inattention et d’impulsivité. Pourtant, la communauté neuroscientifique s’accorde à dire que les causes du TDAH, bien qu’encore très peu connues, ont un fondement biologique et génétique, laissant entrevoir l’existence de biomarqueurs utiles au diagnostic. C’est le propos de cette nouvelle étude soutenue par le Synapsy, un pôle de recherche suisse qui œuvre depuis douze ans à la réunion entre neurosciences et psychiatrie pour comprendre les fondements neuronaux des troubles psychiatriques, dans l’espoir de concevoir de meilleurs diagnostics et traitements.
À la recherche d’un meilleur outil d’investigation
L’étude du cerveau humain est laborieuse puisqu’on ne peut y accéder directement pour investir les mécanismes cellulaires et moléculaires. Pour ce faire, des moyens d’investigation non invasifs comme l’imagerie cérébrale ou l’électroencéphalogramme (EEG) sont disponibles. Ce dernier permet, grâce à un réseau d’électrode déposé sur le cuir chevelu, de mesurer les champs électriques générés par les grands réseaux de neurones. De récentes études font état d’activités anormales de l’EEG chez les patient-es atteint-es de TDAH, laissant entrevoir qu’une dysfonction du développement cérébral serait la cause du TDAH.
Malheureusement, les données sont trop variables d’une étude à l’autre pour être utilisées comme des marqueurs fiables du TDAH. «Ces variations sont soit dues à la grande hétérogénéité des causes du TDAH, soit au fait qu’il ne s’agit pas du bon outil pour investir la question, car il ne tient pas compte des aspects spatio-temporels des états cérébraux», indique Tomas Ros, chercheur aux Départements de psychiatrie et de neurosciences de la Faculté de médecine de l’UNIGE.
Les micro-états cérébraux révèlent deux biomarqueurs
Au repos, le cerveau passe successivement d’un état à un autre, manifestant différentes configurations spatiales du champ électrique de l’EEG. Les neuroscientifiques parlent le plus souvent de cinq états, ou configurations majeures, lettrés de A à E. Ces différents états restent stables pendant une centaine de millisecondes et passent de l’un à l’autre, d’où leur nom, les «microstates», ou micro-états. Ils sont détectables par EEG et leur fréquence, leur longueur ou encore leur ordre d’apparition peuvent être extraits des enregistrements.
En appliquant cette approche, les chercheurs-euses ont trouvé des différences entre les patient-es adultes avec ou sans diagnostic de TDAH. Le micro-état cérébral A apparaît plus court chez les personnes avec un diagnostic de TDAH. «En comparant cette observation avec les données issues des questionnaires cliniques, nous avons observé que cet état est inversement corrélé à des troubles de l’attention», indique Victor Férat, chercheur au laboratoire de Christoph Michel, et premier auteur de l’étude. De plus, l’équipe a observé que le micro-état D était de durée plus longue chez les TDAH et que son niveau était associé à des troubles du sommeil, souvent présents chez ces mêmes patients.
Fiabilité contrôlée
Comme la littérature scientifique souffre de reproductivité dans le domaine, l’équipe de recherche a répété son approche sur une cohorte de patient-es différente afin d’en vérifier la justesse. Grâce à une collaboration avec Martijn Arns, chef de clinique à l’institut privé Nijmegen aux Pays-Bas, le premier ensemble de données de 66 patient-es atteint-es de TDAH et 66 témoins a pu être validé par un ensemble de données séparé de 22 patient-es atteints de TDAH et 22 témoins enregistrées aux HUG grâce à l’unité TDAH de Nader Perroud, coauteur de l’étude. «Nous avons confirmé les données concernant le micro-état D, mais pas celles relatives au micro-état A», indique Victor Férat.
Le micro-état D apparait donc comme un biomarqueur du TDAH. De plus, il semble être associé aux troubles du sommeil, une dimension clé du TDAH. Un précieux outil est ainsi disponible pour la recherche et le diagnostic, voire les traitements. «Nous pourrions utiliser ce biomarqueur comme cadre de lecture pour améliorer les très prometteurs traitements par neurofeedback (voir le communiqué de presse précédent )», termine Tomas Ros avec enthousiasme.