Une même signature pour plusieurs troubles psychiques
Une équipe du PRN-Synapsy a identifié le dysfonctionnement des circuits cérébraux impliqués dans la régulation des émotions comme étant la signature neurobiologique commune à trois maladies psychiatriques distinctes sur le plan clinique.
Les personnes atteintes du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), du trouble bipolaire, ou du trouble de la personnalité borderline, ont en commun une labilité émotionnelle faite d’émotions intenses, changeantes et difficiles à contrôler. À la recherche des marqueurs biologiques de ces troubles pour mieux identifier et distinguer ce qu’ils ont en commun et de spécifique à des fins de diagnostic et de traitements, une équipe de neuroscientifiques du Pôle de recherche national Synapsy (Synapsy) installée à l’Université de Genève (UNIGE) s’est intéressée aux fondements neurobiologiques de cette labilité émotionnelle. Les chercheur-euses ont corrélé les niveaux de labilité émotionnelle d’une cohorte de patient-es transdiagnostique, diagnostiqués pour un de ces trois troubles, avec la variabilité de l’activité cérébrale au repos mesurée par imagerie à résonance magnétique. Le réseau cérébral fronto-limbique s’est révélé être dysfonctionnel, indépendamment du type de diagnostic clinique. Cette étude, à découvrir dans la revue Translational Psychiatry, indique que ces trois troubles psychiatriques ont une base neurobiologique commune, une avancée en vue d’interventions précoces pour les prévenir.
Les troubles touchant la régulation émotionnelle sont très fréquents. Les données épidémiologiques indiquent une prévalence de l’ordre de 1 à 2,5 % pour le trouble bipolaire, 2,7 % pour le trouble de la personnalité borderline, et de 2,5 à 5 % pour le TDAH. Ces troubles sont probablement en lien avec le développement des circuits de régulation émotionnelle à l’adolescence. L’équipe de Camille Nemitz-Piguet, chercheuse au Département de Psychiatrie de l’UNIGE, a mené une étude pour déterminer si ce trait clinique transdiagnostique avait une base biologique commune.
Une cohorte transdiagnostique
«Le diagnostique clinique pour ces trois troubles est posé sur un entretien patient-médecin», indique Camille Nemitz-Piguet. C’est sur cette base que son équipe a constitué une cohorte transdiagnostique composée de personnes prises en charge par le Service des spécialités psychiatriques des HUG souffrantes de ces trois troubles psychiques, ainsi que de personnes sans symptômes à titre de «contrôles sains». Des scores issus de questionnaires spécifiques ont permis de déterminer la labilité émotionnelle de chaque individu.
«Nos résultats montrent que le score de labilité émotionnelle représente un continuum à travers la cohorte, bien que des différences existent entre les troubles», précise la neuroscientifique. En effet, les patient-es TDAH montrent une labilité émotionnelle modérée, les personnes bipolaires ont des scores très variables d’une personne à l’autre, alors que les personnes souffrantes de trouble borderline se caractérisent par une labilité très marquée. Malgré ces spécificités, l’étude confirme que la labilité émotionnelle est bien un trait commun à ces trois troubles.
Une mesure «simple»
«Les symptômes émotionnels similaires entre ces pathologies rendent le diagnostic clinique délicat. Trouver des biomarqueurs pour déterminer les bases fondamentales communes et spécifiques est important pour orienter la psychiatrie vers la précision», revendique-t-elle.
L’équipe de recherche a utilisé une technique d’imagerie médicale par résonance magnétique dépendante du niveau d’oxygène dans le sang, le signal BOLD. Ce signal est généralement considéré comme le reflet de la consommation d’énergie par les cellules neurales, donc de leur activité. « Ce signal peut être mesuré au repos pour évaluer la connectivité neuronale. Plus récemment, la mesure brute de la variabilité de ce signal est devenue une variable d’intérêt pour les neurosciences et la psychiatrie, même si sa signification est encore à confirmer », précise Camille Piguet-Nemitz. Une technique d’imagerie novatrice et relativement aisée à mettre en place, puisque mesurée au repos, choisie par son équipe pour trouver des biomarqueurs de la labilité émotionnelle.
En corroborant les données d’imagerie avec les scores de labilité, les neuroscientifiques ont démontré que la labilité émotionnelle était, en effet, associée à une variabilité plus importante du signal BOLD dans des régions cérébrales connues pour être impliquées dans les émotions, comme l’amygdale et le cortex cingulaire prégénual, soit le réseau cérébral fronto-limbique. La chercheuse relève: «il est probable que l’instabilité observée dans ces régions du circuit de la régulation émotionnelle contribue aux symptômes observés».
La labilité émotionnelle comme cible d’intervention
Un mécanisme commun aux trois troubles existe donc. Ses rouages sont néanmoins encore à découvrir, notamment lors du développement cérébral. «Entre 12 et 25 ans, le cerveau continue à se développer et acquiert ses facultés de contrôle cognitif et affectif. Étudier ces mécanismes pendant cette fenêtre développementale permettrait de comprendre comment cette même dysrégulation des émotions évolue vers trois pathologies distinctes», projette la chercheuse. De telles investigations permettraient également d’expliquer la vulnérabilité aux troubles psychiatriques observée chez certains adolescents.
Selon Camille Nemitz-Piguet, comprendre les corrélats neurobiologiques de la labilité émotionnelle permettrait d’identifier les sujets à risque le plus tôt possible et d’intervenir lorsque le cerveau est encore malléable pour prévenir l’apparition de certains troubles ou limiter leur impact. Cette étude profile donc la labilité émotionnelle comme une cible concrète pour les interventions précoces futures.
Légende:
La variabilité du signal IRM est associée, de manière transdiagnostic, à une plus grande labilité émotionnelle dans l’amygdale et le gyrus cingulaire antérieur, des régions essentielles à la régulation émotionnelle. ©Piguet/UNIGE
24 nov. 2021