Les anticorps contre-attaquent - Des scientifiques de l’UNIGE découvrent une nouvelle piste pour contrer les virus persistants
Une équipe de chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE) révèle le rôle décisif que jouent les anticorps, produits par le lymphocyte B, dans la lutte contre certains virus persistants. Parmi ces derniers figurent notamment ceux du sida ou de l’hépatite C. A paraître dans la revue PLoS Biology, ces résultats apportent un lot d’informations capital dans la lutte contre ces virus. Ils pourraient notamment rediriger la recherche de nouveaux vaccins qui, dans les cas du VIH et de l’hépatite C, demeure infructueuse.
La plupart des virus qui infectent l’être humain sont provisoires. Dans l’écrasante majorité des cas, le corps parvient à s’en débarrasser seul, tout en bénéficiant, en passant, d’une actualisation spécifique de son système immunitaire. Toutefois, certains de ces hôtes indésirables sont persistants. C’est le cas du virus du sida (persistant chez 100% des patients), de l’hépatite C (60-80%) et de l’hépatite B (10%).
Un nouveau «défenseur» identifié
Dans un article à paraître lundi dans la revue PLoS Biology, le prof. Daniel Pinschewer et ses collègues du Département de pathologie et d’immunologie de la Faculté de médecine apportent un nouvel élément permettant de mieux comprendre le mécanisme du système immunitaire qui, en fonction du porteur, explique la persistance du pathogène. Ils montrent notamment que la contribution d’un des acteurs du système immunitaire, le lymphocyte B, a été jusqu’ici sous-estimée.
L’arsenal du système immunitaire détient, entre autres, deux dispositifs pour combattre les virus. Le premier est composé de lymphocytes T, ces globules blancs capables d’identifier et d’éliminer directement les cellules infectées. Le second est formé de lymphocytes B, des cellules dont la tâche principale est de produire des anticorps, c’est-à-dire des molécules qui se lient à des particules virales ou à des structures virales disposées à la surface des cellules infectées. Cette action peut alors soit neutraliser ces «corps étrangers» soit simplement les marquer de façon à ce qu’ils puissent être reconnu et dégradé par d’autres mécanismes immunitaires.
L’action du lymphocyte B
Les lymphocytes B fournissent à l’organisme une défense capable de s’adapter à presque n’importe quel intrus. Chacune de ces cellules produit un seul type d’anticorps qui est quasiment à chaque fois différent de celui de sa voisine. Comme les lymphocytes B se comptent par milliards, cette gigantesque variété permet au corps humain de produire potentiellement des anticorps spécifiques à chaque virus existant dans la nature. Ainsi, lorsqu’un nouveau pathogène infecte l’organisme, l’anticorps qui lui correspond est sélectionné, provoquant la multiplication à grande vitesse du lymphocyte qui le produit. La plupart du temps, le système immunitaire mémorise l’identité du virus en cas d’attaque ultérieure.
«Dans le cas des infections virales persistantes, les chercheurs ont remarqué depuis longtemps qu’elles provoquent une réponse immunitaire dite cellulaire, c’est-à-dire la mobilisation des lymphocytes T, explique Daniel Pinschewer. En fait, l’hypothèse qui a prévalu durant les dernières décennies, étayée par de nombreuses études, c’est que cette réponse était exclusive, les anticorps, eux, ne jouant qu’un rôle mineur, voire négligeable.» Un des éléments soutenant cette affirmation est que certains virus persistants, surtout celui du sida, ont un pouvoir de mutation important qui leur permet d’échapper aux anticorps.
Cette manière de voir les choses semble toutefois de moins en moins répandue. Un coup dur a notamment été l’abandon, en septembre 2007, d’un essai clinique de phase II d’un vaccin antisida. Basé sur la seule réponse de lymphocytes T, le vaccin avait donné des résultats prometteurs en laboratoire, mais, une fois inoculé à des volontaires faisant partie de catégories dites à risques, sa protection contre l’infection s’est avérée nulle. La stimulation de la réponse immunitaire T contre les infections persistantes est certes nécessaire, mais clairement insuffisante.
Ouvrir de nouvelles voies d’investigation
Pour tenter d’en savoir plus, les chercheurs de l’UNIGE ont donc entrepris une étude avec des souris génétiquement modifiées et un virus appelé LCMV. «Il n’existe pas l’équivalent du virus du sida ou de l’hépatite C chez les rongeurs, précise le prof. Pinschewer. Mais le LCMV joue parfaitement le rôle de modèle. Depuis presque un siècle, l’étude de son mode de fonctionnement chez la souris a en effet permis de réaliser de nombreuses découvertes au sujet des infections persistantes chez l’homme.»
Les chercheurs ont alors administré le virus à différents types de souris. Certains rongeurs fabriquent des anticorps, mais justement pas ceux qui sont spécifiques au LCMV. D’autres ont été transformés génétiquement de façon à être incapables de produire les phases initiales ou tardives de la réponse immunitaire impliquant les anticorps. Des souris «normales» ont servi de comparaison.
Les expériences ont montré que la présence d’anticorps spécifiques et une réponse immunitaire initiale correcte sont essentielles pour la réduction de la charge virale et son élimination. «Cela peut sembler élémentaire, mais c’est la première fois que l’on a pu le démontrer, commente Daniel Pinschewer. Si nos résultats sont transposables à l’être humain, cela signifie que pour fabriquer un vaccin efficace contre ces infections virales persistantes, il faudra développer des produits qui induisent à la fois une réponse immunitaire T et B. La seconde sera peut-être la moins difficile à obtenir.»
Contacts: le prof. Daniel Pinschewer au + 41 22 379 59 45
7 avr. 2009