Un cheval de Troie contre les bactéries - Des chercheurs genevois contournent les défenses du staphylocoque doré
Depuis près de 40 ans, une barrière empêchait les scientifiques d’étudier les facteurs de virulence rendant le staphylocoque doré si redoutable. Un groupe de chercheurs de la Faculté de médecine de l’UNIGE et des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) vient de trouver un moyen pour lever cet obstacle. Cette découverte, qui fait l’objet d’une publication dans la revue PNAS du 14 juin, marque un pas en avant dans la lutte contre cette bactérie tant redoutée pour sa capacité à développer des résistances multiples aux antibiotiques.
Présent chez environ un tiers de la population sans jamais causer la moindre maladie, le staphylocoque doré peut néanmoins être la source de graves infections, dont certaines sont létales. Traitées avec des antibiotiques, ces infections évoluent souvent vers des situations problématiques puisque, dans 50% des cas, l’infection est causée par des souches ayant développé des résistances à la méthicilline, une forme répandue d’antibiotiques. La découverte de cette formidable capacité de résistance remonte aux années soixante et s’est déroulée à Genève, dans les murs du Département de biologie moléculaire.
Il y a déjà plus de 40 ans, des chercheurs de l’UNIGE occupés à étudier des mécanismes de reproduction des virus infectant des bactéries découvraient les enzymes de restriction, des molécules capables de couper l’ADN à des endroits précis. Cette découverte, qui a révolutionné la recherche en biologie et en médecine, a été réalisée par Werner Arber en 1968, prouesse qui valut à son auteur l’attribution du Prix Nobel de médecine, dix ans plus tard.
Retour aux sources
Les enzymes de restriction jouent un rôle fondamental puisque ce sont elles qui protègent les bactéries contre les bactériophages. Lorsque ces virus passent à l’attaque, les bactéries activent leur mécanisme de défense en produisant des enzymes de restriction dont la fonction est de détruire le génome du virus, bloquant de ce fait l’infection. Elles représentent ainsi une barrière contre le transfert horizontal d’information génétique entre bactéries. Une protection dont le rôle est à la fois positif et négatif, sur le plan médical. D’un côté, elle freine la croissance des bactéries, en empêchant l’acquisition de facteurs de virulence et de gènes de résistance aux antibiotiques. Mais ce bouclier est loin d’être imperméable et des échanges génétiques ont tout de même lieu. Il constitue en outre un obstacle pour l’étude de ces mêmes mécanismes par les bactériologues, lesquels ne peuvent pas réintroduire un gène retravaillé au sein de la bactérie pour en mesurer les effets.
Un espion ADN à la solde des chercheurs
Sous la direction des professeurs Patrick Linder et Jacques Schrenzel, les chercheurs genevois ont découvert non seulement l’existence d’une telle barrière au sein du staphylocoque doré, mais surtout le moyen de contourner ses défenses. En utilisant des méthodes de génétique bactérienne classique, les chercheurs ont identifié un gène codant pour une enzyme de restriction jusqu’ici inconnue chez le staphylocoque doré. En inactivant ce gène, ils ont pu introduire, en laboratoire, de l’ADN étranger dans ces bactéries, leur permettant ainsi d’étudier les facteurs de virulence qui rendent cette bactérie si combative.
Outre l’avantage technique qu’elle confère, l’étude a permis de démontrer que l’absence d’enzyme de restriction favorisait l’acquisition facilitée d’ADN provenant du Enterococcus faecalis, une autre bactérie parfois porteuse de gènes de résistance contre un antibiotique de dernier recours, la Vancomycine. Ainsi, en s’intéressant au mécanisme de transfert d’un gène de résistance sur des souches genevoises du staphylocoque doré, les chercheurs devraient aider à mieux comprendre la manière dont peuvent évoluer des souches hautement pathogènes et résistantes aux antibiotiques.
Contact
Patrick Linder, tél. +41 22 379 54 84
11 juin 2010