Les oxydes préparent leur révolution électronique
De nombreux appareils électroniques, dont l’ordinateur, font appel à l’Exchange Bias, un phénomène physique qui permet, par exemple, de détecter l’état magnétique d’une mémoire. L’équipe du professeur Jean-Marc Triscone, du Pôle de recherche national MaNEP à l’Université de Genève (UNIGE), a observé ce phénomène à l’interface de deux oxydes qui, a priori, n’étaient pas susceptibles de développer un tel comportement. Cette découverte a été rendue possible grâce à la croissance en multicouches de ces deux matériaux, une technique qui permet de façonner de nouvelles propriétés magnétiques d’intérêt pour l’industrie électronique. Cette étude a fait l’objet d’une publication dans la revue Nature Materials.
Le phénomène physique de l’Exchange Bias a littéralement révolutionné le domaine de l’électronique. C’est grâce à lui qu’il est possible d’utiliser le magnétisme afin, par exemple, de stocker des données sur des supports toujours plus petits. Il est ainsi devenu incontournable aussi bien pour l’informatique que pour les télécommunications.
L’Exchange Bias se produit quand deux matériaux aux propriétés magnétiques différentes sont mis en contact, en général l’un est ferromagnétique et l’autre antiferromagnétique. Imaginons que chaque atome soit un petit aimant. Le premier matériau est dit ferromagnétique lorsque tous ces petits aimants s’alignent dans le même sens. Le second est dit antiferromagnétique parce que dès qu’un aimant pointe dans une direction, son voisin se fait un honneur de prendre la direction inverse. Le couplage de ces petits aimants à l’interface des deux matériaux permet de modifier les caractéristiques des couches ferromagnétiques. Ainsi, du mariage de ces deux matériaux apparemment divergents, émerge la possibilité de contrôler leurs propriétés magnétiques. Grâce à l’Exchange Bias.
Longtemps, on a pensé que l’Exchange Bias pouvait uniquement se manifester dans des combinaisons de matériaux magnétiques ; une conviction désormais battue en brêche par les travaux de Marta Gibert, Raoul Scherwitzl et Pavlo Zubko de l’équipe du professeur de physique Jean-Marc Triscone. Cette découverte, rendue possible grâce à une construction nanoscopique artificielle d’oxydes, ouvre ainsi des portes vers d’autres assemblages de matériaux, bien plus façonnables que ceux existant actuellement.
Un nanomillefeuille aux propriétés magnétiques
Dans la dernière édition de la revue Nature Materials, les chercheurs de Genève expliquent comment ils ont réussi à faire croître à des échelles nanométriques deux oxydes, le LaMnO3 et le LaNiO3 en un système multicouches, à l’image d’un nanomillefeuille et comment, grâce à cette approche, ils ont pu observer l’émergence d’un phénomène d’Exchange Bias. La surprise est venue du fait que l’Exchange Bias est apparu, alors qu’un des matériaux, le LaNiO3, n’est pas magnétique. Cette observation démontre qu’une couche nanoscopique d’un matériau qui n’était pas magnétique l’est devenue – un effet provenant des interactions à l’interface entre les couches, à la frontière entre les matériaux. Un succès incontestable à mettre au crédit de l’ingénierie atomique, permettant à ces matériaux artificiels de révéler de nouvelles propriétés, absentes jusqu’alors dans chaque matériau pris isolément et de les façonner sur mesure.
Cette découverte illustre l’incroyable potentiel de ces nouvelles propriétés qui émergent à l’interface de deux oxydes disposés en multicouches et les perspectives que ces dernières ouvrent vers de nouvelles applications technologiques. La structure en multicouches permet par exemple le réglage des propriétés de l’Exchange Bias par une simple modification de l’épaisseur des couches.
Ces résultats contribuent également à une meilleure compréhension de ce phénomène physique largement exploité pour des applications technologiques, mais encore mal compris sur le plan de ses fondements physiques.
Contacts
Jean-Marc Triscone, tél. 022 379 66 51
Raoul Scherwitzl, tél. 022 379 35 23
24 janv. 2012