Réprimer pour mieux contrôler
Notre ADN est compacté dans le noyau des cellules grâce à son enroulement autour de millions de protéines appelées nucléosomes. Lorsqu’un gène doit être transcrit pour fabriquer des protéines, les nucléosomes présents doivent être temporairement éjectés pour permettre à ce gène d’être déroulé. Une équipe de biologistes de l’Université de Genève (UNIGE) a étudié le fonctionnement des nucléosomes associés aux gènes activés par les oestrogènes, moteurs de la croissance de cellules mammaires. Ils ont découvert que la stabilité de ces nucléosomes, soit leur propension à être éjectés, est déterminée par une modification biochimique effectuée sur certains de leurs composants, appelés histones H2Bub1. Les détails de ce nouveau mécanisme épigénétique – qui modifie l’ADN sans en affecter la séquence – sont publiés dans la revue Molecular Cell.
Les œstrogènes sont responsables de la survie et de la prolifération d’un certain type de cellules mammaires, qu’elles soient saines ou cancéreuses. Les hormones agissent en se liant à des récepteurs appelés ERα, qui activent divers gènes responsables de la croissance cellulaire. «Ces gènes sont généralement enroulés autour d’assemblages protéiques appelés nucléosomes. Les nucléosomes doivent donc être temporairement éjectés pour que les gènes puissent être déployés, permettant à ERα d’y accéder et d’activer leur transcription», explique Didier Picard, professeur au Département de biologie cellulaire de la Faculté des sciences de l’UNIGE.
Modifier une molécule pour stabiliser le tout
La stabilité des nucléosomes, c’est-à-dire leur propension à être éjectés, est surtout déterminée par des modifications biochimiques sur les protéines qui les composent, appelées histones. «Ces altérations, ciblées et réversibles, jouent un rôle crucial dans la régulation de l’expression des gènes au niveau de l’ensemble du génome. En effet, le type de modification des histones et la composition temporaire des nucléosomes vont déterminer leur rôle activateur ou répressif, car ils conditionnent l’accès aux gènes. Ceci permet qu’un gène donné ne soit exprimé qu’à un moment donné», détaille Gregory Segala, chercheur de l’équipe genevoise et premier auteur de l’article.
Les biologistes ont étudié le fonctionnement des nucléosomes présents dans la région d’ADN à laquelle se lie ERα dans des cellules mammaires humaines. Cette région très dynamique est soumise à des contrôles stricts encadrant l’expression des gènes oestrogéno-dépendants, afin d’éviter une croissance et une multiplication cellulaire anarchiques. Elle est donc dotée de nucléosomes particuliers, composés de certaines histones qui leur confèrent divers degrés de stabilité et influencent leur propension à être éjectés rapidement, pour un réglage fin et rapide de ce contrôle. «Nous avons découvert l’existence d’éléments stabilisateurs, appelés H2Bub1. Il s’agit d’un type d’histone modifié qui, une fois incorporé à ces nucléosomes, prévient leur éjection», relève Didier Picard. Mais lorsque certains signaux augmentent fortement, H2Bub1 perd cette modification et le nucléosome, à nouveau instable, est éjecté : le gène se déroule et peut se lier à ERα pour être activé.
Un mode de régulation épigénétique répandu
Les modifications des histones sont qualifiées d’épigénétiques, car elles n’induisent pas de changement dans la séquence de l’ADN lui-même. Les molécules ajoutées ou enlevées aux histones, sous l’action contrôlée d’un enzyme, agissent en fait comme un signal, une sorte d’interrupteur moléculaire permettant de moduler l’expression d’un gène. Le groupe genevois démontre un rôle répresseur de l’activation des gènes pour les histones H2Bub1, qui s’étend également à de nombreux gènes pouvant être activés par des facteurs spécifiques, selon les cellules et tissus dans lesquels ils se trouvent.
Ces gardiens de la stabilité des nucléosomes peuvent être absents dans certaines conditions: «Une diminution marquée de la quantité d’histones H2Bub1 a été observée dans des tissus cancéreux mammaires, par rapport aux tissus sains. Le mécanisme de contrôle de l’expression des gènes oestrogéno-dépendants que nous avons mis au jour n’existe donc plus dans ces cellules», conclut Gregory Segala.
Contact: Didier Picard 022 379 68 13
26 sept. 2016