Quel est le véritable impact d’une éruption volcanique stratosphérique ?
Selon une étude pluridisciplinaire dirigée par l’Université de Genève (UNIGE) et publiée aujourd’hui dans la revue Nature Geoscience, la plus grosse éruption volcanique observée au cours du dernier millénaire, celle du volcan Samalas, ne serait pas nécessairement à l’origine de la crise socio-économique mondiale sérieuse qui s’ensuivit, comme le pensaient les scientifiques jusqu’à aujourd’hui.
Pour arriver à cette conclusion, les chercheurs ont analysé à nouveau les impacts climatiques et sociétaux de l’éruption du volcan Samalas (Indonésie), en 1257. Cette éruption a injecté une quantité de sulfures considérable qui a opacifié l’atmosphère et aurait refroidi durablement le climat. Elle a été, en outre, fréquemment invoquée pour expliquer les famines sévères et les bouleversements sociétaux importants observés au milieu du XIII° siècle.
L’étude, conduite par Sébastien Guillet, Markus Stoffel (Faculté des sciences de l’UNIGE) et Christophe Corona (GEOLAB, CNRS), réfute ces conclusions. « L’analyse de plus de 200 manuscrits médiévaux et la reconstruction des anomalies climatiques à partir des cernes de croissance des arbres et des carottes de glace ne permettent pas de conclure que l’éruption soit, à elle seule, à l’origine de la crise sociétale observée au milieu du XIII° siècle », précisent les chercheurs.
Selon Sébastien Guillet, dendroclimatologue et historien à l’UNIGE, « Il y a, en effet, de nombreuses indications d’événements météorologiques extrêmes ayant eu des conséquences sociétales sérieuses suite à l’éruption, mais nos résultats montrent un retour à la normale des conditions climatiques en Europe dès 1259. » Markus Stoffel ajoute également que « même si ces événements météorologiques sont probablement liés à l’éruption, ils n’ont joué qu’un rôle aggravant dans les crises sociétales, puisque de nombreux textes historiques révèlent que les famines observées en Angleterre et au Japon avaient commencé plusieurs années avant l’éruption. » Ces nouveaux éléments conduisent ainsi à réévaluer les impacts du volcanisme sur la société.
Les documents historiques médiévaux révèlent effectivement un obscurcissement du soleil, des températures froides, des pluies incessantes et une nébulosité accrue en Europe en 1258. Une source contemporaine précise même que cette année fut « sans été ». Les manuscrits européens évoquent des moissons catastrophiques et des vendanges très tardives, au cours desquels des grains « durs comme de la pierre », ont été récoltés.
Les chroniques montrent cependant un retour à un climat plus clément dès 1259 et à une situation normale dans les quatre années suivant l’éruption, ce qui contredit les simulations qui suggèrent des anomalies de températures persistantes jusqu’en 1264. Les scientifiques mettent également en évidence que le refroidissement induit par l’éruption du Samalas est comparable à celui engendré par des événements ultérieurs de magnitude inférieure. Ils démontrent ainsi que le refroidissement n’est pas proportionnel à la quantité de sulfures injectés dans l’atmosphère.
Selon Pablo Ortega, climatologue à l’Université de Reading, « ces résultats, particulièrement intéressants pour cerner les impacts climatiques d’une éruption stratosphérique de très forte magnitude, sont cependant difficilement transposables aux sociétés actuelles du fait de niveaux de résilience trop différents. »
Contact: Markus Stoffel, 079 340 39 89
23 janv. 2017