2019

Les forces physiques des cellules en action

Des scientifiques suisses ont mis au point des sondes conçues pour révéler les forces physiques à l’œuvre à l’intérieur des cellules vivantes. Une première mondiale.

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Structure moléculaire de l’outil chimique à gauche: en bleu, les zones pauvres en électrons, en rouge, les zones riches en électrons qui changent de couleur comme les crevettes pendant la cuisson (milieu, inspiration du marché du poisson de Barcelone) pour révéler les forces physiques à l’intérieur des cellules vivantes (à droite, ici réticulum endoplasmique et enveloppe nucléaire). © UNIGE

 

La détection des forces physiques est l’un des défis les plus complexes à résoudre pour les sciences. Bien que la pomme de Newton ait résolu le problème de la gravité depuis longtemps, révéler les forces physiques qui agissent à l’intérieur des cellules vivantes demeure l’un des principaux défi de la biologie actuelle. Pourtant considérées comme jouant un rôle décisif dans de nombreux processus biologiques, aucun outil chimique permettant de visualiser ces forces physiques en action n’existait à ce jour. Mais aujourd’hui, des chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE) et du Pôle National de Recherche (PRN) Biologie Chimique ont mis au point des sondes qui pénètrent dans les cellules, inspirées par le changement de couleur qui se produit lors de la cuisson du homard. Pour la première fois, des forces physiques peuvent être imagées en direct à l’intérieur des cellules. Ces résultats, véritable tournant dans l’étude des sciences de la vie, sont à lire dans le Journal of the American Chemical Society.

La détection des forces physiques cellulaires est l’un des objectifs centraux du PRN Biologie Chimique depuis sa création en 2010. «Notre approche pour la création de sondes de tension a été inspirée par le changement de couleur des crevettes, crabes ou homards pendant la cuisson», s’amuse Stefan Matile, professeur au Département de chimie organique de la Faculté des sciences de l’UNIGE et membre du PRN. Chez les crevettes vivantes, les forces physiques exercées par les protéines environnantes aplatissent et polarisent le pigment caroténoïde, appelé astaxanthine, jusqu’à ce qu’il devienne bleu. «Pendant la cuisson, ces protéines se déplient, permettant ainsi au pigment du homard de reprendre sa couleur naturelle orange foncé», continue le chimiste genevois. Inspiré par ces crustacés, le développement de sondes fluorescentes fonctionnant sur le même principe a nécessité environ huit années de recherche.


Les sondes de force externes ont fait leurs preuves

L’année dernière, les équipes du PRN ont finalement réalisé la première sonde fluorescente capable d’imager les forces agissant sur la membrane externe des cellules vivantes, appelée membrane plasmique.  Les demandes d’échantillons provenant de plus de 50 laboratoires du monde entier en réponse immédiate à la divulgation de ces résultats témoignent de l’importance de cette percée pour les sciences de la vie. Pour répondre à cette demande, les sondes de force de l’UNIGE ont été commercialisées sous la marque Flipper-TR® à la fin de l’année dernière et détiennent la première place en termes d’indicateurs de performance.


Et pour les forces internes des cellules ?

L’étude des forces qui s’appliquent à l’extérieur des cellules ne se limite pas aux outils chimiques de l’imagerie par fluorescence. Les surfaces cellulaires sont accessibles à d’autres outils physiques tels que les micropipettes, les pinces optiques, les lames ressorts de microscopes à force atomique, etc. «Mais ces outils physiques ne sont évidemment pas utilisables pour l’étude des forces s’exerçant à l’intérieur des cellules», relève Aurélien Roux, professeur au Département de biochimie de la Faculté des sciences de l’UNIGE et membre du PRN. «Les organites tels que les mitochondries, responsables de la production d’énergie, le réticulum endoplasmique, responsable de la synthèse des protéines, les endosomes, responsables du trafic de matériel vers et dans les cellules ou encore le noyau, qui stocke les informations génétiques, sont tout simplement hors de portée des outils physiques venus de l’extérieur», spécifie-t-il. La visualisation des forces qui pilotent et contrôlent ces organites à l’intérieur même des cellules était donc impossible, bien qu’essentielles pour comprendre leur fonction, jusqu’à aujourd’hui !

Ce défi fondamental dans le domaine des sciences de la vie est maintenant relevé. L’équipe du PRN, dirigée par Stefan Matile, Aurélien Roux et Suliana Manley, professeure à l’Institut de physique de l’EPFL et membre du PRN, a réussi à développer et faire entrer dans les cellules ces sondes et à marquer sélectivement les différents organites. Les chercheurs sont donc à présent capables de montrer, par exemple, comment la tension monte dans les mitochondries qui commencent à se diviser. «Pour la toute première fois, des forces physiques peuvent être imagées en direct à l’intérieur des cellules», s’enthousiasme Aurélien Roux. Ce nouvel outil chimique permet enfin aux scientifiques de réaliser ce qu’ils voulaient faire depuis très longtemps. «Ces nouvelles sondes nous offrent aujourd’hui la possibilité de décomposer les mécanismes de la mécanobiologie et ainsi de révolutionner littéralement  l’étude des sciences de la vie», conclut Stefan Matile.  

12 févr. 2019

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