Forer à 3000 mètres sans déclencher de séisme
Pour la première fois, des chercheurs de l’UNIGE ont constaté qu’un puits géothermique en conditions supercritiques n’avait pas provoqué de perturbations sismiques majeures.
Vue du puits Venelle-2. Le puits a été conçu pour échantillonner des fluides supercritiques. © Riccardo Minetto
Stopper le changement climatique semble difficile, mais ralentir son évolution en limitant les émissions de gaz à effet de serre est nécessaire. Dès lors, comment subvenir à la demande énergétique croissante, tout en recourant de moins en moins aux énergies fossiles non renouvelables? La géothermie est une solution efficace et non polluante, mais cette technique n’est pas toujours sans risque. Pour atteindre les sources d’énergies disponibles les plus puissantes, il est nécessaire de creuser en profondeur, à travers les couches de la croute terrestre, pour trouver des fluides géothermiques à haut contenu énergétique (eau chaude et gaz relâchés par le magma). Mais en profondeur, l’équilibre de la croute terrestre est critique et peut causer la réactivation des couches géologiques causant des tremblements de terre. Des chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE), en collaboration avec l’Université de Florence et le Conseil national de la recherche (CNR) en Italie, ont étudié l’activité sismique causée par un forage géothermique à la recherche de fluides supercritiques, et ont constaté qu’il n’avait pas provoqué d’activité sismique incontrôlée. Une première dans des conditions aussi difficiles qui laisse à penser que la technologie est en passe de maitriser la géothermie, ouvrant la voie à de nouvelles sources de chaleur et d’électricité non polluantes. Des résultats à lire dans la revue Journal of Geophysical Research.
La communauté scientifique s’accorde à dire que les émissions de CO2 doivent décliner de 45% d’ici 2030 et que 70% des énergies doivent être renouvelables d’ici 2050. Mais comment y parvenir? La géothermie, une énergie renouvelable, pourrait être une des solutions. De nombreux pays, dont la Suisse, l’exploitent déjà pour produire de la chaleur, car les puits de forage peu profonds (jusqu’à 1500 mètres) ne représentent que peu de risques. «Mais pour pouvoir produire de l’électricité, il faut creuser plus en profondeur, ce qui représente tant un défi technologique que scientifique», relève Matteo Lupi, professeur au Département des sciences de la Terre de la Faculté des sciences de l’UNIGE. En effet, passé 1500 mètres, les forages nécessitent une attention particulière, car les éléments inconnus du sous-sol se multiplient. «A cette profondeur, l’équilibre du forage est très précaire et de mauvaises décisions pourrait provoquer un tremblement de terre.»
Une première réussite à Larderello-Travale en Italie?
Le champ géothermique de Larderello en Toscane est le plus vieux du monde et produit actuellement 10% de la totalité de l’approvisionnement mondial en électricité géothermique. Il est connu qu’à 3000 mètres de profondeur, on atteint un niveau marqué par un réflecteur sismique, où on estime qu’il y a des fluides supercritiques qui permettraient de produire énormément d’énergie renouvelable. Ces fluides sont dans un état intermédiaire, ni fluides, ni gazeux, au contenu énergétique très puissant. «Depuis les années 1970, les ingénieurs tentent de forer jusqu’à ces fameux 3000 mètres, mais ils n’y sont toujours pas parvenus, explique Riccardo Minetto, chercheur au Département des sciences de la Terre de l’UNIGE. De plus, on ne sait toujours pas exactement de quoi ce niveau est constitué: une transition entre roches fondues et roches solides? Des granits refroidis qui émettent des fluides bloqués à ce niveau?» Les technologies se perfectionnant toujours plus, un forage géothermique a de nouveau été tenté à Larderello-Tavale. L’objectif ? Creuser un puits de quelques centimètres de diamètre sur 3000 mètres de profondeur. «Ce forage, effectué dans le cadre du projet européen DESCRAMBLE, est unique car il vise la transition entre des roches à l’état solide et fondu», poursuit Matteo Lupi.
Afin de mesurer les répercussions de ce forage sur l’activité sismique, l’équipe genevoise a mis en place huit stations sismiques autour du puits dans un rayon de huit kilomètres. Tout au long de l’avancée du forage, les géologues ont récolté les données et analysé chaque difficulté rencontrée. «La bonne nouvelle, c’est que pour la toute première fois, un forage à la recherche de fluides supercritiques n’a provoqué que des perturbations sismiques minimes, un exploit dans de telles conditions et un signal fort pour les progrès technologiques effectués», s’enthousiasme Matteo Lupi. Son équipe a en effet distingué l’activité sismique naturelle de l’activité sismique provoquée par le forage et a effectué une vue d’ensemble grâce aux mesures prises dans les huit stations. Par contre, le seuil des 3000 mètres n’a juste pas été atteint. «Les ingénieurs ont dû s’arrêter à 250 mètres de ce fameux niveau, en raison de la chaleur extrêmement élevée de plus de 500 degrés. Il convient de progresser encore techniquement sur ce point», continue Riccardo Minetto.
Cette étude permet d’affirmer qu’un forage en condition critique s’est bien passé et que cette technologie est en passe d’être maitrisée. «Jusqu’à aujourd’hui, ceux qui avaient tenté de réaliser un puits dans des conditions critiques n’y étaient pas parvenus. Ici, les résultats sont extrêmement encourageants», relève Matteo Lupi. La Suisse est elle-même très active sur cette question, afin de pouvoir s’appuyer sur une nouvelle source d’énergie qui épaulerait notamment les barrages. «La géothermie pourrait être une des sources principales de notre avenir énergétique, il convient donc d’y mettre les moyens pour la développer en toute sécurité», conclut le chercheur genevois.