Les émotions pour lutter contre le changement climatique
Un chercheur de l’UNIGE a compilé toute la littérature des cinq dernières années liant émotion et changement climatique, faisant ressortir les leviers principaux qui permettront de renforcer les comportements en faveur du développement durable.
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Souvent victimes de leur mauvaise réputation, car jugées «irrationnelles», les émotions jouent toutefois un rôle majeur dans l’évaluation du monde et l’orientation du comportement des êtres humains. Quel est leur rôle dans la perception et l’action climatique? Pour répondre à cette question, un chercheur de l’Université de Genève (UNIGE) a revu systématiquement toute la littérature de ces cinq dernières années traitant des émotions et du changement climatique, afin de mettre en évidence les principaux leviers d’action et orienter les politiques dans leur prise de décision. Il ressort de cette étude que la communication fondée sur la peur ou l’espoir doit être dosée avec minutie afin d’éviter tout immobilisme de l’action citoyenne, et que les actes en faveur du développement durable peuvent enclencher un cercle vertueux du comportement en faisant ressentir à leurs auteur-es un sentiment de fierté qui les poussent à continuer sur cette voie. Des résultats à lire dans la revue Current Opinion in Behavioral Sciences.
Comment le changement climatique est-il perçu d’un point de vue émotionnel? Que faire pour encourager la population à adapter son comportement en faveur du développement durable, qui seul peut contrer le réchauffement climatique? Une centaine d’études se sont penchées sur ces questions ces cinq dernières années. C’est pourquoi Tobias Brosch, professeur de psychologie du développement durable à la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation (FPSE) et au Centre Interfacultaire en Sciences Affectives (CISA) de l’UNIGE, a effectué une revue systématique de la littérature de 2015 à 2020 traitant du rôle des émotions dans la perception et l’action envers le changement climatique, qu’il soit positif ou négatif, afin d’en faire ressortir les principaux leviers d’action sur lesquels doivent s’appuyer les décisions politiques.
Les émotions, prédicatrices les plus puissantes des comportements durables
Sur quels paramètres se fonder lorsque l’on souhaite communiquer sur la question du changement climatique et encourager les comportements de développement durable: le sexe? L’âge? La situation socio-économique? Le parti politique? Les valeurs? Ou faut-il au contraire mettre ces catégories au second plan et interroger la population sur ses émotions?
Les récentes études se sont justement intéressées à l’affect des personnes au sujet du changement climatique en leur posant une question simple: quel est leur sentiment face à cette situation? «Les réponses les plus souvent données font ressortir la peur, la préoccupation, la culpabilité, mais aussi l’espoir et parfois la fierté», récapitule Tobias Brosch. L’objectif était de pouvoir mesurer quel facteur permettrait de prédire avec le plus de précision possible les réponses touchant à la perception du risque, au comportement d’atténuation pour réduire le changement climatique, au comportement d’adaptation aux conséquences du réchauffement climatique, au soutien politique et enfin à l’acceptation des technologies renouvelables. «Il ressort que ce sont les réactions affectives ressenties qui prédisent le mieux ces réponses, et non pas des facteurs générationnels comme l’âge ou le parti politique, comme l’on aurait pu s’y attendre», relève Tobias Brosch. Les émotions capturent et permettent de mieux expliquer les différences de comportement que les autres facteurs, il faut donc les utiliser pour encourager l’action citoyenne à l’aide d’une communication adaptée.
Trouver le juste milieu entre peur et espoir
La communication sur le changement climatique est principalement fondée sur un vocabulaire alarmiste cherchant à faire ressentir la peur et la culpabilité chez les citoyens et citoyennes. Mais est-ce la bonne manière de communiquer? «A trop insister sur la catastrophe climatique, les personnes pourraient ressentir un sentiment d’impuissance qui les pousse à se dire qu’il est de toute façon déjà trop tard, donc à quoi bon changer ses habitudes?», explique Tobias Brosch. «Par contre, jusqu’à présent, cet effet négatif de la peur n’a pas encore été réellement observé dans le contexte du changement climatique, il semble que les messages négatifs renforcent plutôt la volonté d’agir», précise-t-il.
Et que se passerait-il s’il l’on transmettait de l’espoir? «Il a été constaté que les communications très positives porteuses d’espoir pouvaient également aboutir à l’immobilisme, les personnes renonçant à changer de comportement, puisqu’au final nous allons vers le mieux», poursuit le psychologue genevois.
Il s’agit donc de trouver un juste milieu, afin d’éviter tant les effets pervers de la peur que ceux de l’espoir. Il convient dès lors que les politiques travaillent avec des psychologues de l’émotion sur le design des interventions pro-environnementales, afin de définir les bons messages.
Le cercle vertueux du comportement durable
On a déjà observé en science sociale l’effet de l’anticipation du warm glow, l’émotion positive qui suit un comportement positif. «Ce warm glow joue un rôle capital dans le mécanisme de renforcement d’un comportement vertueux», appuie Tobias Brosch. Est-ce que cela marche pour le développement durable? «En fait, oui, les gens qui s’attendent à se sentir bien lorsqu’ils agissent en faveur de l’environnement font preuve d’un comportement plus durable. Il faut alors renforcer ce warm glow comme levier chez les personnes qui y sont sujettes, car cela va renforcer leurs bonnes habitudes et enclencher un cercle vertueux d’actions favorables au développement durable sur le long terme», se réjouit Tobias Brosch. «De plus, nous devrions essayer de déclencher ce cercle vertueux chez des personnes qui ne le ressentent pas encore.» L’enjeu réside dans la mise en place de stratégies et d’opportunités qui permettront aux citoyens et citoyennes d’expérimenter positivement ce sentiment lors d’une action en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique, afin qu’ils et elles veuillent le ressentir à nouveau. «Par exemple, placer son mégot de cigarette dans le compartiment «Messi est le meilleur joueur de football» ou au contraire «Ronaldo est le meilleur joueur» est un exemple tout bête de ce renforcement positif: on s’amuse à voter tout en jetant son mégot à la poubelle», conclut le chercheur genevois.