2022

Des usines à neutrinos dans l’espace lointain

Une équipe de recherche internationale révèle pour la première fois l’origine des neutrinos, des particules élémentaires qui atteignent notre planète depuis les profondeurs de l’Univers.

 

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Vue d’artiste d’un blazar accélérant les rayons cosmiques, les neutrinos et les photons, comme observé dans les blazars PeVatron. © Benjamin Amend

 

Hautement énergétiques et difficiles à détecter, les neutrinos parcourent des milliards d’années-lumière avant d’atteindre notre planète. Si l’on sait que ces particules élémentaires proviennent du fin fond de notre Univers, leur origine précise demeure encore méconnue. Une équipe internationale de recherche pilotée par l’Université de Würtzburg (JMU) en Allemagne et l’Université de Genève (UNIGE), lève le voile sur un pan de ce mystère: les neutrinos naîtraient notamment dans les blazars, des noyaux galactiques alimentés par des trous noirs supermassifs. Ces résultats sont à découvrir dans la revue Astrophysical Journal Letters.

 

L’atmosphère terrestre est continuellement bombardée de rayons cosmiques. Ceux-ci se composent de particules chargées électriquement, dont l’énergie peut atteindre 1020 électron-volts. C’est un million de fois plus que l’énergie atteinte dans l’accélérateur de particules le plus puissant du monde, le Grand collisionneur de hadrons du CERN, à Genève.  Ces particules extrêmement énergétiques proviennent de l’espace lointain. Elles ont ainsi parcouru des milliards d’années-lumière avant d’atteindre notre planète. D’où viennent-elles précisément et qu’est-ce qui les propulse dans l’Univers avec une telle force? Cette question constitue depuis plus d’un siècle l’un des plus grands défis de l’astrophysique.

On sait que les lieux de naissance des rayons cosmiques produisent des neutrinos, des particules neutres difficiles à détecter. Leur masse est en effet presque nulle et ils interagissent à peine avec la matière. Ils «courent» dans l’Univers et peuvent traverser les galaxies, les planètes et le corps humain presque sans laisser de trace. «Les neutrinos astrophysiques sont produits exclusivement lors de processus impliquant l’accélération des rayons cosmiques», explique Sara Buson, professeure d’astrophysique à la Julius-Maximilians-Universität (JMU) de Würzburg, en Allemagne. C’est précisément ce qui fait des neutrinos des messagers uniques, ouvrant la voie à la localisation des sources de rayons cosmiques.

 

Vers la fin d’un débat controversé?

Malgré la grande quantité de données recueillies par les astrophysiciens sur le sujet, le lien qui unit les neutrinos de haute énergie aux sources astrophysiques qui les produisent reste en grande partie un mystère. C’est en 2017, dans un article paru dans la revue Science, que Sara Buson et ses collaborateurs/trices ont pour la première fois intégré l’idée qu’un blazar (TXS 0506+056) pouvait être une source supposée de neutrinos. Les blazars sont des noyaux galactiques actifs alimentés par des trous noirs supermassifs qui émettent beaucoup plus de rayonnement que toute leur galaxie. Cette publication a suscité un débat scientifique sur l’existence d’un lien réel entre les blazars et les neutrinos de haute énergie.

Après cette première étape encourageante, le groupe de Sara Buson a lancé en juin 2021 un ambitieux projet d’étude avec le soutien du Conseil européen de la recherche. Il consiste à analyser différents signaux (ou «messagers», comme les neutrinos par exemple) provenant de l’Univers. L’objectif principal est de faire la lumière sur l’origine des neutrinos, en établissant éventuellement avec une grande certitude que les blazars sont la première source de neutrinos extragalactiques de haute énergie.

Le projet connaît aujourd’hui son premier succès: dans la revue Astrophysical Journal Letters, Sara Buson, avec son groupe composé de l’ex-postdoctorant Raniere de Menezes (JMU) et d’Andrea Tramacere, chercheur au Département d’astronomie de l’UNIGE, rapporte que les blazars peuvent être associés aux neutrinos astrophysiques avec un degré de certitude sans précédent.

 

Révéler le rôle des blazars

Andrea Tramacere est l’un des experts de la modélisation numérique des processus d’accélération et des mécanismes de rayonnement agissant dans les jets relativistes – des écoulements de matière accélérée approchant la vitesse de la lumière – et en particulier dans les jets des blazars.

«Le processus d’accrétion et la rotation du trou noir conduisent à la formation de jets relativistes, où les particules sont accélérées et émettent un rayonnement allant jusqu’à des énergies de mille milliards de fois celle de la lumière visible! La découverte de la connexion entre ces objets et les rayons cosmiques pourrait être la ‘‘pierre de Rosette’’ de l’astrophysique des hautes énergies!», explique le chercheur de l’UNIGE.

Pour parvenir à ces résultats, l’équipe de recherche a superposé les données de neutrinos obtenues par l’Observatoire de neutrinos IceCube en Antarctique - le détecteur de neutrinos le plus sensible actuellement en service - et le BZCAT, l’un des catalogues de blazars les plus précis. «Avec ces données, nous devions prouver que les blazars dont les positions directionnelles coïncidaient avec celles des neutrinos n’étaient pas là par hasard.»

Pour ce faire, le chercheur de l’UNIGE a développé un logiciel capable d’estimer à quel point les distributions de ces objets dans le ciel se ressemblent. «Après avoir lancé les dés plusieurs fois, nous avons découvert que l’association aléatoire ne peut dépasser celle des données réelles qu’une fois sur un million d’essais! C’est la preuve solide de la justesse de nos associations».

Malgré ce succès, l’équipe de recherche estime que ce premier échantillon d’objets n’est que la «pointe de l’iceberg». Ces travaux lui ont toutefois permis de recueillir «une nouvelle preuve observationnelle», c’est-à-dire l’ingrédient le plus important pour construire des modèles plus réalistes d’accélérateurs astrophysiques.

«Ce que nous devons faire maintenant, c’est comprendre quelle est la principale différence entre les objets qui émettent des neutrinos et ceux qui n’en émettent pas. Cela nous aidera à comprendre dans quelle mesure l’environnement et l’accélérateur ‘‘dialoguent’’. Nous pourrons alors exclure certains modèles, améliorer le pouvoir de prédiction d’autres modèles et, enfin, d’ajouter de nouvelles pièces à l’éternel puzzle de l’accélération des rayons cosmiques!».

13 juil. 2022

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