Réveiller les cellules dormantes pour combattre le cancer
Une équipe de l’UNIGE et des HUG est parvenue à décrypter un mécanisme dont le blocage permet de réduire la capacité des cellules du mélanome à s’adapter et résister aux traitements.
L’inhibition ciblée des kinases DAPK1/3 réduit la proportion des cellules HuRBas à prolifération lente et la réponse adaptative de l’ensemble des cellules malignes à un inhibiteur BRAF. © UNIGE / Rastine Merat
Grâce aux thérapies ciblées par petites molécules, la médecine est en mesure de faire régresser les métastases de mélanome, lorsque celles-ci portent une mutation qui les sensibilise aux traitements. Toutefois, ces résultats sont le plus souvent transitoires: une majorité des patient-es rechute, même après des réponses initiales spectaculaires. Ces rechutes sont dues à la persistance de cellules «dormantes», insensibles aux traitements. Une équipe de l’Université de Genève (UNIGE) et des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) a précédemment montré que ces cellules expriment insuffisamment une protéine nommée HuR. En décryptant le mécanisme de cette sous-expression et en le ciblant par un inhibiteur d’enzyme, cette équipe est parvenue à diminuer la résistance aux traitements de l’ensemble des cellules. Ces résultats, publiés dans Biochemical and Biophysical Research Communications, ouvrent de nouvelles voies thérapeutiques contre le mélanome métastatique et les autres types de cancers solides.
Le mélanome est l’une des formes les plus graves de cancer de la peau. Potentiellement très agressif, il se développe à partir des mélanocytes, les cellules responsables de la pigmentation cutanée. S’il peut être superficiel, avec dans ce cas un bon pronostic, il peut aussi être plus profond et devenir métastatique, c’est-à-dire migrer vers d’autres organes.
Depuis une dizaine d’années, grâce aux thérapies dites «ciblées» par petites molécules – des substances inhibant un mécanisme précis de la tumeur pour la combattre – la moitié des mélanomes métastatiques qui portent une signature génétique les rendant sensibles à ces médicaments peuvent être traités efficacement, parfois jusqu’à leur éradication. «Cependant, malgré une réponse initiale parfois spectaculaire, 80% des patient-es subissent une récidive, sur les mêmes sites que précédemment», explique Rastine Merat, chercheur au Département de médecine de la Faculté de médecine de l’UNIGE et responsable de l’Unité d’Onco-dermatologie aux HUG.
En cause, une protéine régulant la division cellulaire
Ce phénomène est dénommé «résistance adaptative»: certaines cellules cancéreuses s’adaptent aux molécules censées les combattre et entraînent une résurgence de la maladie. Ceci même lorsque les métastases – et donc les cellules qui les composent - semblaient avoir complètement disparu. «Cela s’explique par la persistance, après traitement, de petits résidus de cellules malignes dites ‘‘dormantes’’ que les outils de radiologie classiques ne parviennent pas à détecter, indique Rastine Merat. La particularité de ces cellules, en plus d’être invisibles, est de proliférer lentement. C’est cette caractéristique qui leur permet d’échapper aux thérapies ciblées, même lors du premier traitement.»
Des recherches ont montré qu’à l’intérieur des cellules à prolifération lente, une protéine qui régule notamment l’expression de nombreux gènes qui contrôlent la division cellulaire – la protéine HuR – est sous-exprimée, c’est-à-dire faiblement active, contrairement aux cellules à prolifération rapide. Dans une recherche publiée en 2019, Rastine Merat et son équipe avaient établi le lien entre l’expression insuffisante de cette protéine et la résistance du mélanome à une thérapie ciblée. Dans leurs derniers travaux, ils ont cette fois mis au jour un mécanisme précis à l’œuvre dans les cellules «dormantes» qui provoque l’insuffisance d’expression de cette protéine, qu’il est possible de cibler avec des médicaments.
Inhiber des enzymes pour empêcher la récidive
«Dans les cellules, les ARN messagers jouent un rôle central dans la production de protéines. Dans la minorité de cellules qui ont une expression insuffisante de la protéine HuR, nous avons découvert que l’ARN messager produisant HuR était piégé par d’autres protéines. C’est dans tous les cas un des mécanismes à l’origine de la sous-expression de HuR.» En utilisant un composé chimique permettant d’inhiber deux kinases – des enzymes – impliquées dans ce mécanisme, l’équipe de l’UNIGE est parvenue à empêcher la sous-expression de HuR, rendant les cellules moins capables de résister au traitement.
«La grande difficulté, pour mener ces travaux, était de parvenir à travailler sur ce type de cellules, difficiles à détecter et à analyser en raison de leur faible nombre et du fait que l’état de sous-expression de cette protéine est dynamique: à tout moment les mêmes cellules peuvent se mettre à proliférer et donc changer d’état et avoir une expression élevée de la protéine HuR, explique le chercheur. Pour contourner cette difficulté, nous avons paradoxalement surexprimé cette protéine dans les cellules. Cela nous a permis de rendre plus facilement détectables les mécanismes en jeu.» Cette découverte ouvre de nouvelles perspectives dans le traitement du mélanome mais pas seulement. «Le mélanome est un cancer modèle: si on le comprend, on est alors en mesure de comprendre bien d’autres types de cancers solides», explique Rastine Merat.
La prochaine étape consistera à «inciter l’industrie pharmaceutique à optimiser les inhibiteurs des kinases identifiées – pour améliorer leur stabilité et leur biodisponibilité – ce qu’elle sait déjà faire de manière très systématique, du moins pour ce type de cible enzymatique», conclut le chercheur.