Dans la boîte noire de l’autorité en classe
Une équipe de l’UNIGE et de la HEP Vaud a mis au point un dispositif novateur pour analyser l’exercice de l’autorité pédagogique et évaluer son efficacité.
L'équipe de l'UNIGE et de la HEP Vaud livre l'une des premières études de terrain approfondies sur l'exercice de l'autorité en classe. Ces résultats ont d'ores et déjà été réinvestis dans des formations pour les enseignant-es. © Lucien Agasse
Comment l’autorité se déploie-t-elle en classe? Une équipe de l’Université de Genève (UNIGE) et de la Haute école pédagogique du canton de Vaud (HEP Vaud) livre l’une des premières enquêtes de terrain approfondies sur la question. En filmant durant plusieurs mois des enseignant-es en cours de formation, les chercheuses ont identifié différentes formes d’exercice de l’autorité pédagogique et évalué leur efficacité. Elles révèlent que les stratégies basées sur le double adressage – soit le fait de s’adresser simultanément, à travers deux canaux de communication différents, à plusieurs élèves ou groupes d’élèves – s’avèrent particulièrement efficaces. Ces résultats sont à découvrir dans la revue Teaching and Teacher Education.
En classe, l’autorité des enseignant-es n’est plus acceptée d’emblée par les élèves. Face aux mutations de la société, son exercice traditionnel - basé notamment sur la menace, la contrainte ou l’habitude – a perdu en légitimité. Pour obtenir le consentement de leurs élèves, les enseignant-es s’adaptent à ce nouveau contexte et construisent leur autorité au quotidien en fonction des classes et des situations d’apprentissage. De nouvelles postures doivent être inventées pour permettre aux enseignant-es débutant-es comme aux plus expérimenté-es d’obtenir l’adhésion des élèves.
À ce jour, peu d’études ont documenté les interactions entre enseignant-es et élèves en situation d’exercice de l’autorité. Pour y remédier, une équipe de l’UNIGE et de la HEP Vaud a déployé un dispositif vidéo innovant dans vingt-quatre classes vaudoises du degré secondaire (433 élèves au total, âgé-es de 12 à 15 ans) qu’elle a couplé à des entretiens révélant le vécu professionnel des enseignant-es (dix au total, en cours de formation). L’enquête a duré un semestre.
Dispositif novateur
«Nous avons installé une caméra grand angle autonome dans chaque classe pour avoir une vision de l’enseignant-e et des élèves. Les enseignant-es portaient un traceur autour du cou qui permettait à la caméra de suivre leurs déplacements au sein de leur classe», détaille Valérie Lussi Borer, professeure associée, responsable du groupe AFORDENS et membre du Video Learning Lab à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’UNIGE, qui a dirigé ces travaux.
À la fin des cours, les enseignant-es devaient indiquer quelles avaient été les situations d’autorité les plus significatives de la journée et leurs objectifs lors de celles-ci. Les passages concernés étaient alors visionnés avec eux/elles pour les «confronter» à ces épisodes et mesurer l’écart entre leurs attentes et la réalité. Cette méthode a permis d’identifier différentes modalités d’exercice de l’autorité et de mesurer leur efficacité.
La stratégie la plus efficace
«Parmi les différentes modalités d’interactions élèves-enseignant-es que nous avons identifiées, la plus efficace est celle dite du ‘‘double adressage’’, qui représente un tiers des interactions filmées», révèle Vanessa Joinel Alvarez, professeure associée au sein de l’Unité d’enseignement et de recherche AGIRS de la HEP Vaud, et première auteure de l’étude.
Lors de ces doubles adressages, les enseignant-es peuvent combiner un adressage direct et un adressage indirect en s’adressant à un-e élève pour faire passer un message au reste du groupe, ou en s’adressant au groupe pour faire passer un message à un-e élève. Le destinataire apparent n’est pas le destinataire réel: l’enseignant-e cherche à faire passer indirectement des informations à un-e ou plusieurs autres élèves.
Limiter les rapports de force
C’est par exemple le cas d’enseignant-es qui, pour éviter la propagation d’un comportement perturbateur au reste du groupe, vont intervenir ostensiblement auprès de l’élève dissipé-e afin de faire passer, indirectement, un message de dissuasion au groupe. Les chercheuses ont aussi mis en évidence des situations où l’enseignant-e s’adresse directement à toute la classe et indirectement à un-e ou deux élèves, le but étant alors de leur faire passer un message sans les nommer explicitement, pour ne pas les stigmatiser et ne pas renforcer les phénomènes de comparaison sociale entre élèves.
«Nous constatons que cette stratégie est très efficace pour prévenir les comportements perturbateurs. Elle permet à l’enseignant-e de limiter la confrontation, peu performante avec les adolescent-es», explique Vanessa Joinel Alvarez. En ne confrontant pas directement l’élève, les enseignant-es évitent de s’inscrire dans un rapport de force et lui permettent également de garder la face vis-à-vis de ses pairs.
Les résultats de cette recherche ont déjà été réinvestis dans de nouvelles formations continues à destination des enseignant-es, comme le Module d’approfondissement professionnel «Gestion efficace et bienveillante des comportements en classe» de la HEP Vaud et le Certificat d’études avancées «Enseigner en situation complexe au secondaire» à l’Institut universitaire de formation des enseignant-es de l’UNIGE. Ces formations proposent aux enseignant-es des outils pour mieux comprendre la manière dont ils/elles s’adressent aux élèves en classe et l’impact de ces interactions sur le climat de classe.