À l’heure des tumeurs
En examinant les modulations immunitaires de tumeurs au cours de la journée, des scientifiques de l’Université de Genève et de l’Université LMU de Munich démontrent leur impact sur le diagnostic et la prise en charge des malades.
Les immunothérapies, qui visent à renforcer l’action du système immunitaire pour lutter contre le cancer, sont parmi les traitements antitumoraux les plus prometteurs. Toutefois, s’ils s’avèrent très efficaces dans certains cas, leur succès est parfois décevant. Comment expliquer cette variabilité? Dans de précédentes études, une équipe de l’Université de Genève (UNIGE) et de l’Université Ludwig-Maximilian de Munich (LMU) avait découvert l’importance de la rythmicité du système immunitaire pour la croissance tumorale. Aujourd’hui, les scientifiques démontrent que le profil immunitaire des tumeurs présente de grandes différences selon l’heure à laquelle la biopsie est effectuée. Or, ces variations au cours du temps pourraient mener à des erreurs de diagnostic et à la prescription de traitements peu adaptés. De plus, certaines cibles thérapeutiques négligées jusqu’ici pourraient s’avérer clé dans la lutte contre la maladie. Ces résultats, à découvrir dans la revue Cell, pourraient avoir des implications majeures dans l’organisation des soins cliniques comme dans la recherche sur de nouveaux médicaments.
En 2022, l’équipe de recherche menée par Christoph Scheiermann, professeur ordinaire au Département de pathologie et immunologie et au Centre de recherche sur l’inflammation de la Faculté de médecine de l’UNIGE et à l’Université de Munich, avait observé un phénomène inattendu: la croissance et la sévérité des tumeurs sont liées au rythme circadien de cellules immunitaires. «Mais pour exploiter ces résultats dans un contexte clinique, nous devions en connaître les détails dans un modèle plus proche de la réalité», souligne Christoph Scheiermann.
Pour ce faire, les scientifiques ont injecté des cellules tumorales de mélanome à un groupe de souris, puis ont prélevé la tumeur qui en a résulté à différents moments de la journée, deux semaines plus tard. Selon l’heure, et donc selon l’activation immunitaire de l’animal, la quantité de cellules immunitaires, mais aussi le type de cellules et leurs caractéristiques, variaient considérablement. Cette découverte ne manquait pas d’avoir des implications sur le plan clinique. «A l’hôpital, une biopsie est effectuée chez les malades afin de connaître la tumeur et ses caractéristiques immunitaires», indique Christoph Scheiermann. «Les traitements, et en particulier les immunothérapies, sont ensuite décidés en fonction de cet examen. Or, selon l’heure de la biopsie, le nombre de cellules immunitaires infiltrées peut être très élevé – et la tumeur classée comme «chaude», ou très faible, et la tumeur dite «froide» – alors qu’il s’agit de la même tumeur. Il suffit donc que la biopsie soit effectuée à un mauvais moment pour risquer d’entraîner un diagnostic erroné.
Le tempo des immunothérapies sous la loupe
Pour s’approcher au plus près de la réalité clinique, les scientifiques ont administré à leurs groupes de souris deux traitements approuvés et largement utilisés: les cellules CAR-T (créées sur mesure pour reconnaître et cibler les protéines spécifiques des cellules tumorales à combattre) et les inhibiteurs de points de contrôle, qui suppriment les freins naturels du système immunitaire afin d’augmenter son activation contre les tumeurs. «Administrés au mauvais moment, ces traitements n’ont eu aucun résultat. À la bonne heure, la charge tumorale diminuait de manière très significative», détaille Christoph Scheiermann. «Le nombre de cellules immunitaires présentes ou non dans la tumeur est en cause, mais aussi leurs caractéristiques et le comportement qui en découle». En effet, selon la modulation des éléments moléculaires retenus pour générer ces traitements, le moment où ils sont administrés devient crucial. Au bon moment, les cellules à combattre sont immédiatement reconnues. Au mauvais moment, les molécules cibles sont très peu exprimées, et le médicament n’a aucun effet.
Adapter les horaires et les traitements
Ces études, menées sur des souris, sont corroborées par l’examen des taux de survie de patientes et patients, à la suite de ces immunothérapies. Un traitement matinal – au maximum de l’activation immunitaire chez les êtres humains – est systématiquement associé à un meilleur taux de survie. Des études sont en projet afin d’évaluer, chez les malades, l’impact d’une modification des horaires d’examen et de traitement. D’autres projets vont se pencher sur les cibles potentielles de médicaments sous- estimées jusqu’ici. Ces découvertes sur les rythmes immunitaires ont par ailleurs des implications plus large: sous l’angle de la médecine personnalisée, elles permettraient d’adapter les approches thérapeutiques au profil temporel des malades (entre 10 et 20% des gens auraient en effet un rythme biologique décalé par rapport à la population générale), et elles ne sont pas sans conséquences pour d’autres pathologies, notamment les maladies auto-immunes.