2024

Chimistes, biologistes, archéologues, qui exhumera les recettes de nos ancêtres?

Grâce à une nouvelle approche multidisciplinaire, une équipe de l’UNIGE et du CNRS a retracé les pratiques alimentaires d’un village sénégalais. Cette méthode servira à d’autres fouilles archéologiques.


Vue zénithale de la fouille de la Poubelle des Mamans, dans le village d'Edioungou au Sénégal. Carrés D1 et C1, décapage 3. © Pauline Debels


L’alimentation n’est pas qu’un simple besoin biologique. Véritable marqueur culturel et identitaire, elle regroupe de très nombreuses pratiques qui permettent de «lire» une région, un pays ou un groupe social. Mais comment retrouver ces us et coutumes lorsqu’il n’en reste aucune trace orale ou écrite? Une équipe de l’Université de Genève (UNIGE) et du CNRS a testé avec succès une approche multidisciplinaire, qui combine notamment la céramologie, la chimie, l’archéozoologie et l’archéobotanique. Appliquée à des fouilles menées sur un dépotoir, elle a permis aux scientifiques de reconstituer le passé alimentaire récent d’un village du Sénégal. Cette approche pourra être utilisée pour fouiller des sites archéologiques plus anciens et dans d’autres régions du monde. Elle est à découvrir dans le journal PLOS ONE.


Retracer les pratiques alimentaires passées d’une communauté, sans le recours aux sources orales ou écrites, est un défi à la fois historique et méthodologique. Une équipe d’archéologues et de chimistes de l’UNIGE et du CNRS l’a relevé en déployant un important dispositif, multidisciplinaire et inédit, dans le village sénégalais d’Edioungou, en Basse-Casamance. Cette localité de 300 habitant-es abrite un dépotoir, aujourd’hui abandonné, appelé la «Poubelle des Mamans». Utilisé par les familles d’un quartier tout au long du XXe siècle, le site renferme de nombreux vestiges liés au passé alimentaire de la région.

 

«Faire dialoguer autant de disciplines dans le cadre d’une recherche archéoloGique est inédit.»

 


«Fouiller ce site fut un vrai challenge. En raison de sa fonction et de son âge, il recèle une densité de vestiges bien plus importante que la plupart des sites archéologiques traditionnels», explique Pauline Debels, post-doctorante lors de ces travaux, aujourd’hui collaboratrice externe au laboratoire ARCAN de la section de Biologie de la Faculté des sciences de l’UNIGE, post-doctorante au laboratoire Trajectoires du CNRS, et co-première auteure de l’étude. «Nous avons creusé centimètre par centimètre en suivant les strates archéologiques. Cela nous a permis de récupérer des restes, souvent très dégradés, de poteries, d’ossements, de coquilles, de tissus et de certains aliments.»


Faire dialoguer les disciplines

Pour analyser ces vestiges d’origines très diverses, l’équipe a développé une approche combinant plusieurs disciplines dont l’archéozoologie (l’étude des ossements d’animaux dans un contexte archéologique), la carpologie (l’étude des restes de graines et de fruits), la micro-botanique, la céramologie et la chimie des résidus organiques. «Faire dialoguer autant de disciplines dans le cadre d’une recherche archéologique est inédit. C’est une approche très compliquée à coordonner. Certains objets devaient être analysés par plusieurs spécialistes. Il fallait notamment s’assurer que chaque analyse ne compromette pas la suivante», indique Léa Drieu, post-doctorante lors de ces travaux, actuelle chargée de recherche au laboratoire CEPAM du CNRS et co-première auteure de l’étude.

Cette méthode a permis d’identifier plusieurs produits animaux et végétaux, autrefois consommés par le village, piégés dans les sédiments ou les parois des récipients céramiques. Elle a également permis aux scientifiques d’accéder aux modalités de transformation des aliments et à la fonction des récipients, d’après l’observation des traces d’usure sur les parois des poteries et de la distribution des concentrations de lipides le long de leur profil vertical.


«Nous avons constaté que les poissons, les huîtres et le riz constituaient la base de l’alimentation des usagers et usagères du dépotoir, avec une composante d’animaux terrestres à l’occasion de fêtes. Les aliments salés et acides bouillis semblent avoir été privilégiés», indique Anne Mayor, directrice du laboratoire ARCAN de la section de Biologie de la Faculté des sciences de l’UNIGE, maître d’enseignement et de recherche au Global Studies Institute, qui a dirigé l’étude avec Martine Regert, directrice de recherche au CEPAM.


Vers l’étude de sites plus anciens

Des mets de fêtes, par exemple, ont pu être identifiés grâce aux résidus alimentaires préservés dans les contenants. Parallèlement à la découverte de mâchoires de porc, des évidences de mets carnés ont en effet été identifiés chimiquement dans des récipients de taille très importante, et donc vraisemblablement utilisés lors de grands rassemblements.
 


Coupe longitudinale de la fouille de la Poubelle des Mamans, dans le village d’Edioungou au Sénégal. Ossements, poteries, coquilles et bouteille en verre sont visibles sur cette image. © Pauline Debels


Globalement, ces travaux mettent en évidence une certaine continuité des pratiques alimentaires, avant une rupture nette survenue il y a deux à trois décennies. «La mondialisation a introduit ou généralisé de nouveaux aliments et de nouveaux matériaux pour les contenants, comme le plastique et le métal, transformant profondément les pratiques alimentaires, en particulier chez les plus jeunes générations. Certains types de poteries avec des fonctions spécifiques se raréfient dans les strates les plus récentes de la fouille et ont pratiquement disparu aujourd’hui, remplacés par ces matériaux plus résistants, plus légers et très faciles à se procurer», explique Pauline Debels.


Cette étude, conduite dans le cadre du projet Sinergia du FNS «Foodways in West Africa: an integrated approach on pots, animals and plants», est une première étape vers la compréhension de l’évolution des pratiques alimentaires au cours des périodes précoloniale, coloniale et post-coloniale au Sénégal. Elle constitue également un premier test réussi pour l’approche combinée mise au point par l’équipe de l’UNIGE et du CNRS. Elle pourra désormais être appliquée à des sites archéologiques plus anciens et à d’autres régions du monde.

30 mai 2024

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