COVID-19: le suivi des contacts a-t-il été efficace?
En se basant sur les données genevoises, une équipe de l’UNIGE et des HUG a évalué l’efficacité du suivi des contacts dans le contrôle de la pandémie.
L’efficacité du contact-tracing dépend notamment des caractéristiques de la maladie en termes de symptômes, de contagiosité et de
modes de transmission. © iStock
Lors de la pandémie de COVID-19, la Suisse, à l’instar de nombreux pays, a misé sur le suivi des contacts afin d’identifier les personnes susceptibles d’avoir été contaminées par une connaissance infectée. Cette stratégie, classique en cas de flambée épidémique, s’est-elle révélée efficace pour interrompre la transmission du virus? Des épidémiologistes de l’Université de Genève (UNIGE) et des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) ont analysé les données recueillies à Genève. Globalement, 40% des personnes contaminées avaient été identifiées via leurs connaissances malades. Ce taux a cependant fluctué selon le variant en cause, le type de logement habité, et la richesse du quartier. Ces résultats, à lire dans la revue EuroSurveillance, suggèrent que le suivi des contacts ne suffit pas à lui seul pour contrôler certaines épidémies. Il doit être complété par un ensemble de mesures tenant compte des spécificités de chaque maladie.
Le traçage des contacts, ou contact-tracing en anglais, consiste à identifier les personnes ayant été en contact avec un-e malade afin de les prendre en charge avant qu’ils/elles ne puissent à leur tour transmettre la maladie.
«L’efficacité de cette stratégie dépend notamment des caractéristiques de la maladie en termes de symptômes, de contagiosité et de modes de transmission», indique Delphine Courvoisier, professeure assistante au Département de médecine de la Faculté de médecine de l’UNIGE, épidémiologiste au Service de la qualité des soins des HUG, et déléguée par les HUG comme responsable de la cellule «données» auprès du Service de la médecin cantonale pendant la pandémie de COVID-19, qui a dirigé ces travaux. «Pour Ebola, par exemple, où les malades ne sont contagieux/euses qu’après l’apparition des symptômes, ou, plus proche de nous, pour la rougeole, le traçage des contacts a prouvé son efficacité pour couper les chaînes de transmission.»
Afin d’évaluer l’efficacité du contact-tracing pour le COVID-19, Delphine Courvoisier et son équipe ont analysé les données de plus de 140,000 cas et 185,000 contacts enregistrés dans le canton de Genève de juin 2020 à mars 2022.
Non-déclaration volontaire ou involontaire?
«Pour déterminer le nombre de personnes identifiées par contact-tracing, il faut d’abord déterminer le nombre de personnes qui s’infectent mutuellement. Pour cela, nous avons regardé combien de personnes vivant à une même adresse ont été testées positives au SARS-Cov2 dans un intervalle de dix jours», explique Denis Mongin, maître assistant au Département de médecine de la Faculté de médecine de l’UNIGE, statisticien aux HUG, et expert délégué au traitement de ces données.
«Puis, pour supprimer la part due au hasard, nous avons effectué un test de permutation en attribuant aléatoirement une adresse aux personnes. La différence entre le nombre de personnes testées positives dans un intervalle de dix jours à la même adresse avant et après permutation indique le nombre de personnes infectées à domicile, que l’on compare alors aux personnes qui avaient été déclarées comme contact. Nous avons ainsi pu estimer le taux global de déclaration des contacts, mais aussi son évolution au cours du temps et sa dépendance en fonction du profil socio-économique des quartiers, du type de bâtiments ou encore de la densité de population.»
En moyenne, environ 40% des personnes contaminées ont pu être identifiées par contact-tracing, avec des variations de 25% - au sommet des vagues épidémiques - à 60% pour les périodes les plus calmes. De plus, les facteurs socio-économiques pèsent fortement. Ainsi, plus les bâtiments sont grands et équipés de parties communes (commerces au rez-de-chaussée, par exemple), plus les gens ont tendance à ne pas déclarer leurs contacts. «Il s’agit probablement d’omissions involontaires: on se croise sans y penser, on ne connaît pas forcément ses voisins, le virus reste en suspension dans l’ascenseur», explique Denis Mongin. «D’ailleurs, cet effet disparaît pendant les phases de restriction de rassemblement et de port de masque obligatoire, ce qui nous permet aussi d’évaluer l’efficacité de ces mesures.»
En revanche, plus les quartiers sont à statut socio-économique élevé, moins les gens déclarent leurs contacts. «De nombreuses hypothèses ont été évoquées: respect moindre des directives gouvernementales, mais aussi plus grande possibilité de s’auto-isoler en raison de la taille des logements et des professions permettant de télétravailler, sans nécessité de certificat médical», indique Delphine Courvoisier. «Dans tous les cas, cela démontre l’intérêt d’impliquer des sociologues et des anthropologues dans le développement et l’évaluation des politiques sanitaires afin de comprendre les ressorts humains en cause dans leur succès ou leur échec.»
Une mesure parmi d’autres
Le COVID-19 est une maladie très contagieuse, transmise par aérosols et contaminante avant l’arrivée des symptômes. Ces caractéristiques rendent le contact-tracing particulièrement complexe. À l’aune de ces résultats , cette stratégie était-elle la meilleure solution pour diminuer les chaînes de transmission? «Le contact-tracing seul n’a eu qu’une efficacité relative sur la dynamique de l’épidémie. Mais il ne faut pas négliger son importance comme soutien psychologique auprès de la population pour rassurer et écouter les gens pendant cette période anxiogène. De plus, l’idée n’est pas de réécrire l’histoire pour remettre en question des décisions qui, sur le moment, faisaient du sens, mais d’utiliser ces expériences pour construire une réponse plus solide et multimodale lorsque nous serons à nouveau confronté-es à une épidémie de grande ampleur», concluent les auteur-es.
31 janv. 2024