Des archives géologiques prédisent notre avenir climatique
En analysant des sédiments vieux de 56 millions d’années, une équipe de l’UNIGE a mesuré l’augmentation de l’érosion des sols provoquée par le réchauffement, synonyme d’importantes inondations.
Accumulation de roches sédimentaires dans les Pyrénées espagnoles. Les strates rouges et jaunes correspondent à des dépôts de sédiments sur le continent, il y a 56 millions d’années. © Marine Prieur
Il y a 56 millions d’années, la Terre a connu un important et rapide réchauffement climatique sous l’effet de gaz à effet de serre, a priori libérés par des éruptions volcaniques. Une équipe de l’Université de Genève (UNIGE) a analysé des sédiments datant de cette période afin d’évaluer l’impact de ce réchauffement sur l’environnement, et plus précisément sur l’érosion des sols. Elle révèle que le phénomène a été multiplié par quatre, en raison de fortes précipitations et des crues des rivières. Ces résultats suggèrent que le réchauffement actuel pourrait à terme avoir un effet similaire, augmentant sensiblement le risque d’inondations. Ils sont à découvrir dans la revue Geology.
En raison de ses similitudes avec le réchauffement actuel, la période du Maximum Thermique du Paléocène-Éocène (ou Paleocene-Eocene Thermal Maximum en anglais) est étudiée de près pour comprendre comment l’environnement terrestre réagit à une augmentation globale des températures. Survenu il y a 56 millions d’années, cet épisode a vu la Terre se réchauffer de 5 à 8°C en l’espace de 20 000 ans, un temps très court à l’échelle géologique. Il a perduré 200 000 ans et entraîné des perturbations majeures de la faune et de la flore. Selon les récents rapports du GIEC, la Terre est aujourd’hui à l’aube d’un réchauffement similaire.
Pour obtenir une «image» plus précise de ce réchauffement passé et de ses conséquences, et en tirer des prévisions pour le futur, les scientifiques s’appuient sur l’analyse des sédiments datant de cette période. Ces dépôts naturels proviennent de l’érosion des sols par l’eau et le vent. Ils ont été charriés par les rivières jusque dans les océans. Aujourd’hui conservées dans la roche, ces véritables archives géologiques sont porteuses de précieuses informations sur notre passé, mais également notre avenir.
Quatre fois plus d’érosion
«Notre hypothèse de départ était que, lors d’un tel réchauffement, la saisonnalité et l’intensité des pluies augmentent. Cela modifie les dynamiques de crues des rivières et conduit à une intensification du transport des sédiments, des montagnes vers les océans. Nous avons cherché à tester cette hypothèse et surtout à mieux quantifier ce changement», explique Marine Prieur, doctorante à la Section des sciences de la Terre et de l’environnement de la Faculté des sciences de l’UNIGE, et première auteure de cette étude financée par le programme Horizon 2020 de l’Union européenne.
L’équipe de recherche a étudié un type particulier de sédiments, les microcodiums, prélevés dans les Pyrénées (environ 20kg). Ces prismes de calcite, d’un millimètre au maximum, se formaient spécifiquement à cette époque autour des racines des végétaux, donc dans les sols. Or, on les retrouve aussi dans les sédiments marins, preuve de leur érosion plus ou moins importante. Ils constituent ainsi un bon indicateur de l’intensité de ce phénomène sur les continents.
«En quantifiant l’abondance des microcodiums dans les sédiments marins, sur la base d’échantillons prélevés dans les Pyrénées espagnoles, qui étaient immergées au Paléocène-Éocène, nous démontrons que l’érosion des sols sur le continent a été multipliée par quatre lors du changement climatique survenu il y a 56 millions d’années», révèle Sébastien Castelltort, professeur ordinaire à la Section des sciences de la Terre et de l’environnement de la Faculté des sciences de l’UNIGE, qui a chapeauté l’étude.
L’action humaine exacerbera le phénomène
Cette découverte met en lumière l’impact important du réchauffement sur l’érosion des sols, via l’intensification des précipitations lors des événements orageux et l’augmentation des crues des rivières. Il s’agit d’un indicateur de fortes inondations. «Ces résultats portent spécifiquement sur cette zone des Pyrénées et chaque zone géographique est tributaire de certains facteurs qui lui sont propres. Cependant, cette augmentation des apports sédimentaires dans les couches datant du Paléocène-Éocène s’observe un peu partout sur la planète. Il s’agit donc d’un phénomène global, à l’échelle de la Terre, en cas de réchauffement important», indique Marine Prieur.
Ces résultats constituent de nouveaux éléments à intégrer aux prédictions sur notre avenir climatique. En particulier pour mieux évaluer les risques d’inondation et d’effondrement des sols dans les zones habitées. «Il faut avoir à l’esprit que cette augmentation de l’érosion s’est produite naturellement, sous l’effet du seul réchauffement. Aujourd’hui, pour prédire ce qui nous attend, il faut également tenir compte de l’impact de l’action humaine, comme la déforestation, qui amplifie différents phénomènes, dont l’érosion», concluent les scientifiques.