2024

Pourquoi certains organes vieillissent plus vite que d’autres

Des scientifiques de l’UNIGE, de l’Inselpital de Berne et de l’UNIBE ont découvert que les mutations cachées de l’ADN non-codant sont responsables du vieillissement de certains tissus, comme ceux qui composent le foie.

En rouge, à gauche, les cellules hépatiques dont l’ADN est endommagé. En jaune, à droite, les cellules intestinales en prolifération, dont l’ADN n’est pas endommagé, sont colorées en jaune. © UNIGE / UNIBE

L’accumulation de mutations dans l’ADN est souvent évoquée pour expliquer le processus du vieillissement, mais cela reste une hypothèse parmi d’autres. Une équipe de l’Université de Genève (UNIGE), en collaboration avec l’Inselspital, Hôpital universitaire de Berne, et l’Université de Berne (UNIBE), a mis en lumière un mécanisme expliquant pourquoi certains organes, comme le foie, vieillissent plus rapidement que d’autres. Elle révèle que les dommages au niveau de l’ADN non codant, souvent cachés, s’accumulent davantage dans les tissus dits «à faible prolifération cellulaire», tels que ceux qui constituent le foie ou les reins. Contrairement aux organes qui se régénèrent fréquemment, ces dommages restent longtemps inaperçus et empêchent la division cellulaire. Ces résultats, à lire dans la revue Cell, ouvrent des pistes pour mieux comprendre le vieillissement cellulaire et potentiellement le ralentir.

Nos organes et nos tissus ne vieillissent pas tous à la même vitesse. Le vieillissement, marqué par l’augmentation des cellules sénescentes – incapables de se diviser et ayant perdu leurs fonctions – touche plus rapidement le foie ou les reins que la peau ou les intestins. Les mécanismes qui contribuent à ce processus font l’objet de nombreux débats au sein de la communauté scientifique. S’il est largement admis que les dommages causés au matériel génétique (ADN), et qui s’accumulent avec l’âge, sont à l’origine du vieillissement, le lien entre les deux phénomènes n’est pas élucidé.


Les molécules d’ADN contiennent des parties codantes – les gènes qui codent pour les protéines – et des parties non codantes qui sont impliquées dans des mécanismes de régulation ou d’organisation du génome. Constamment endommagée par des facteurs externes et internes, la cellule dispose de systèmes de réparation de l’ADN qui empêchent l’accumulation d’erreurs. Celles localisées dans les parties codantes sont détectées lors de la transcription des gènes, c’est-à-dire lors de leur activation. Celles qui interviennent dans les parties non codantes sont repérées lors du renouvellement des cellules, qui nécessite à chaque fois la création d’une nouvelle copie du génome, via le processus de réplication de l’ADN. Toutefois, le renouvellement cellulaire n’intervient pas à la même fréquence selon le type de tissus ou d’organes.


Les tissus et organes en contact permanent avec l’extérieur, et donc davantage sujets à subir des dommages, tels que la peau ou l’intestin, renouvellent leurs cellules (et donc répliquent leur ADN) plus souvent – une à deux fois par semaines – que les organes internes, protégés du monde extérieur, tels que le foie ou le reins, qui ne le font, au maximum, que quelques fois par an.


Le foie, modèle d’étude idéal du vieillissement

Le groupe de Thanos Halazonetis, professeur ordinaire au Département de biologie moléculaire et cellulaire de la Faculté des sciences de l’UNIGE, étudie les mécanismes de réplication de l’ADN. Son équipe, en collaboration avec les groupes des Prof. Stroka et Prof. Candinas de l’Inselspital de Berne et de l’UNIBE, s’est intéressée aux cellules du foie (hépatocytes) qui prolifèrent peu et dont l’ADN est rarement répliqué. Les scientifiques ont analysé le lien potentiel entre le vieillissement plus rapide du foie et la fréquence plus faible de la réplication de l’ADN de ses cellules.

 

«Notre modèle d’étude, le foie de souris, est un organe idéal pour étudier les mécanismes de réplication de l’ADN in vivo. En effet, chez les mammifères adultes, les hépatocytes ne prolifèrent plus, à moins d’avoir subi une ablation partielle. Après avoir effectué une ablation des deux tiers du foie de souris jeunes ou âgées, on peut étudier les mécanismes de réplication dans un organe jeune ou vieillissant, directement dans l’organisme vivant», explique Prof. Deborah Stroka, co-dernière auteure de l’étude.

 

En cartographiant pour la première fois les sites de démarrage de la réplication de l’ADN dans les cellules de foie qui se régénèrent après ablation, les scientifiques ont découvert que ceux-ci sont toujours localisés dans des régions non codantes.  Il a par ailleurs été observé que les démarrages de réplication étaient beaucoup plus efficaces chez les jeunes souris que chez les souris âgées.

 

«Ces régions non-codantes ne sont pas soumises à un contrôle d’erreurs régulier. Elles accumulent donc des dommages au cours du temps. Après ablation du foie chez des jeunes souris, les dommages sont encore peu nombreux et la réplication de l’ADN est possible. En revanche, lorsque l’expérience est réalisée chez des souris âgées, le trop grand nombre d’erreurs accumulées avec le temps déclenche un système d’alarme qui empêche la réplication de l’ADN», analyse Giacomo Rossetti, maître-assistant au Département de biologie moléculaire et cellulaire de la Faculté des sciences de l’UNIGE et premier auteur de l’étude. Ce blocage de la réplication dans les cellules à l’ADN ne permet pas la prolifération des cellules et provoque ainsi la dégradation des fonctions des cellules et la sénescence des tissus.


Un espoir de ralentir le vieillissement

Ces observations pourraient permettre d’expliquer pourquoi les tissus à prolifération lente, comme le foie, vieillissent plus vite que les tissus à prolifération rapide, comme l’intestin. Dans les cellules qui sont restées dormantes pendant de longues périodes, trop de lésions cryptiques de l’ADN se sont accumulées dans les régions non codantes, qui contiennent notamment les origines de réplication, et empêchent le déclenchement de la réplication. En revanche, dans les tissus à prolifération rapide, peu de dommages s’accumulent grâce aux renouvellements cellulaires fréquents et les origines de réplication gardent leur efficacité intacte. «Notre modèle suggère qu’en réparant les lésions cryptiques de l’ADN avant le déclenchement de la réplication, certains aspects du vieillissement pourraient peut-être être évités. C’est sur cette nouvelle hypothèse de travail que nos efforts vont se porter», conclut Thanos Halazonetis.

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