1951-09-17, Henry Corbin à Denis de Rougemont
Paris VIe
Le 17 septembre 1951
Ce petit mot te trouvera-t-il tout de suite à Ferney, ou bien devra-t-il attendre ton retour de quelque pérégrination ? En tout cas je voudrais qu’il te dise du fond du cœur quel souvenir nous gardons des quelques journées passées ensemble, quel enchantement elles ont été pour nous. Est-ce le charme de Ferney, est-ce tout simplement l’air que tu développes autour de toi ? Toujours est-il que dans cette atmosphère si libre et si fraternelle qui nous a contenus pendant ces bienheureux moments, nous avons retrouvé toute la spontanéité, l’effervescence de nos 20 ans. Il y a longtemps, bien longtemps, que cela ne nous était pas arrivé, car il y a longtemps [p. 2] que nous n’avions pas vécu avec des amis devant qui il était possible de penser à haute voix. C’est un peu ce que nous avons fait le fameux soir, où nos papiers nous ont donné de si extraordinaires résultats. Alors cette chaleur de l’âme, cette belle nature, la douceur du ciel de Genève, tout cela vous laisse une nostalgie très bienfaisante. Il y eut un moment de notre vie, Cher vieux Denis, où tant de choses se sont précisées parce que nous dialoguions presque tous les jours. Ce n’était pas un hasard, puisque après douze ans d’absence, chacun avait roulé de telle sorte qu’il n’y avait pas à reprendre le dialogue où on l’avait laissé, mais à le poursuivre comme jamais interrompu. Puisse le ciel nous en ménager encore de fréquentes reprises.
Dis bien, je te prie, à Jean-Paul combien j’ai été heureux de le connaître. Dis mes hommages fraternels et les amitiés de Stella à Nanik et à Barbara. Et travaillez bien tous ensemble pour votre Europe ! — Que le bon [Niels] ne pense plus à ses microscopes !
Surtout, tâche de te montrer encore au mois d’octobre à Paris. À bientôt, mon cher Denis. Bon travail et bon courage. Quoi qu’il t’arrive, heur ou malheur, mon amitié le partagera.