1930-05-16, Denis de Rougemont à Alice de Rougemont
Le 16 mai 1930
Il me semble que je n’ai plus donné de mes nouvelles depuis longtemps. J’ai pensé à la fête de Papa trop tard pour lui écrire, je n’ai pas oublié. J’attends d’un moment à l’autre des nouvelles de Toinette, comment cela va-t-il ? J’espère beaucoup qu’on m’avertira tout de suite des événements. — Et Titine, est-elle de retour ?
Je suis accablé de travail et d’ennuis de toute sorte. Je ne puis plus voir personne pour me changer les idées, faute de temps ou d’envie réelle, et je tourne en rond parmi tous ces manuscrits d’autrui ou de moi, ces épreuves, ces lettres dactylographiées qui ne disent que des choses pratiques, impersonnelles. Je n’ai pas encore trouvé le temps de passer chez un tailleur, mais les 740 fr. sont intacts encore, bien qu’il ne me reste que très peu, Aujourd’hui ne payant paraît-il qu’à la fin du mois. — Il y a eu une embrouille énervante à la Revue de Genève, si bien qu’au lieu du Voyage en Hongrie, c’est un [p. 2] autre petit manuscrit de moi qui a été imprimé et risque de paraître, ce dont je suis extrêmement ennuyé. De Traz, aperçu hier, me dit que je n’ai qu’à donner ce Voyage à la Revue hebdomadaire, mais il le regrette, et je n’ai pas le courage d’aller solliciter ces messieurs les directeurs, que je ne connais pas, et Pourtalès est au Siam. — Ennuis aussi à « Je sers », retards perpétuels, etc. J’espère que le conseil d’administration qui a lieu lundi va régler enfin cette organisation. J’aurai une forte augmentation dès juin. Mais mon appartement va me coûter 5000 + 12 % de charges = 5600. Et Caudron me dit hier en riant : « Si vous avez 2500 fr. sous la main nous pouvons signer le bail ! » Il ne va pas trop bien lui-même, et risque une opération assez mauvaise à cause d’une sinusite. — Naturellement, je n’ai cherché aucun meuble. C’est à peine si mes chambres seront tapissées pour le 15 juin. — J’ai au moins une douzaine d’articles à faire ou à terminer, je n’ose même pas y penser, et deux longs manuscrits pas de moi à revoir et presque à récrire. Et ce qui rend tout ça plus difficile, marasme intérieur complet, je ne sais trop pourquoi. Personne à aimer, c’est la pire pauvreté. Enfin, j’espère que d’ici 15 jours je serai venu à bout de ce travail et pourrai filer 2 jours à la campagne. Et maintenant, au turbin.
Top.
P.-S. J’aimerais qu’on me fasse suivre la Revue de Genève de mai si elle a paru, svp.