1935-07-17, Alexandre Marc à Denis de Rougemont
Pau (Basses Pyr.)
Le 17 juillet 1935
Je reçois à l’instant même ta lettre du 15. J’espère que vous n’avez pas été assez fous (excusez le mot) pour partir en Suisse, quelques jours à peine avant la « délivrance ». Je sais qu’une attente prolongée dans ces conditions énerve, puisque nous-mêmes, nous avons attendu une quinzaine de jours : mais, enfin, ce n’est pas une raison pour perdre la tête et risquer un accident. Mireille, Suzanne et moi sommes outrés : si nous n’avions peur de paraître ridicules, nous vous aurions télégraphié notre veto.
Je te remercie pour les détails que tu me donnes concernant les + de Feu. Mais je déplore que vous ayez laissé échapper Lousteau et autres Maud’huya. J’attache une grande importance à ce point pour des raisons nombreuses et que le manque de temps seul m’empêche de développer. Je supplie les Consuls de ne pas considérer ce point comme secondaire. C’est pour nous une occasion unique de rattraper Lousteau et aussi d’empêcher certains de ses camarades de faire une bêtise. On dit que quelques-uns veulent rejoindre la « gauche » par désespoir de cause, et que d’autres rêvent des aventures impossibles : mais les uns et les autres cherchent la même chose, à savoir un mouvement sincèrement révolutionnaire, national, français, réalisateur, dégagé des oppositions périmées « droite-gauche », ayant un véritable programme constructif. Je ne sais si ces renseignements sont exacts : s’ils l’étaient, il ne faudrait tout de même pas laisser passer l’occasion d’attirer à nous des « agitateurs » (dont nous manquons complètement) et des organisateurs, sous prétexte… qu’ils sont partis en vacances ! Je sais qu’un type a pu les joindre dans la plus stricte intimité l’autre jour. Je suis sûr que vous y parviendrez également, surtout si vous mettez Masquelier dans votre jeu. Allons, nous déplorons toujours de manquer d’hommes d’« action » : prouvons le contraire.
Quant à la souscription publique, rien ne nous empêche d’en garder les résultats… secrets. C’est simplement une question de formule à trouver. Nous pourrions, par exemple, confirmer aux souscripteurs la réception de leur obole en leur adressant une lettre personnelle. Encore une fois, cherchons une formule commode, mais ne renonçons pas à l’idée.
Merci également des renseignements concernant la rédaction du Bulletin. Bravo pour Hélisse. Transmets-lui mes félicitations. As-tu réalisé ton projet d’« exciter » les jeunes et de les charger de travaux définis ?
L’organisation du travail civil volontaire me laisse rêveur… Quelles sont ces quatre femmes qui travaillent chez [p. 2] Coutrot ? Et pourquoi ce « féminisme » inattendu ? Et comment se fait-il qu’on n’ait trouvé qu’un seul Esprit ?… Autant de questions que je me pose vainement.
Puisque nous parlons d’Esprit, où en sont les rapports entre les deux mouvements ?
Sabine Aron se plaint, paraît-il, de ne pas recevoir de mes nouvelles : cette lettre est pourtant la 8e que j’adresse à l’ON (soit par ton intermédiaire, soit par celui de la rue Spontini) depuis notre arrivée à Pau. D’autre part, tu peux dire aux Consuls qu’avant même avoir achevé notre installation, j’ai accompli mon devoir, en écrivant à Bouxin, à Desouches et à Pillias. De même, nous avons écrit une très longue lettre aux Anglais.
Par contre, mes dernières lettres sont restées sans réponse. Qu’avez-vous pensé, les uns et les autres, de mes suggestions concernant le maintien et même l’accentuation de notre position « ni droite ni gauche » ? À ce propos, j’ai pensé à la possibilité de publier à la rentrée un manifeste condamnant avec la même énergie et la même netteté la « droite » et la « gauche », le parlementarisme et la dictature, la révolte et la réforme, et affirmant la nécessité d’une Révolution française, nationale et sociale, à tendance fédéraliste, antiprolétarienne (je veux dire, anti-« condition prolétarienne », bien entendu), etc., etc. Ce manifeste, rédigé et lancé par nous, pourrait être signé par Esprit, le xxe siècle, les + de Feu (du moins, par les dissidents), la Société de Saint-Louis, etc. Que l’on ne me dise pas que le texte du manifeste serait « délicat » à établir : je le sais, mais là aussi, je prétends que les difficultés ne doivent pas nous paralyser et nous empêcher de réaliser un projet qui pourrait avoir un grand retentissement dans certains milieux (très divers, d’ailleurs).
Je te félicite d’avoir pu trouver quelques travaux alimentaires. J’espère que vous n’avez pas renoncé au projet palois. Vous ai-je dit que ma femme a accepté de « diriger » un institut d’arts ménagers, organisé par le couvent, et qui présentera cet immense avantage d’offrir aux amateurs des repas succulents (ou presque…) à des prix défiant toute concurrence ? Ne perdez pas de vue ce nouvel aspect de la question : Zb aura ainsi la possibilité de ne pas faire le repas de midi que vous pourrez consommer sur place, en notre charmante compagnie, ou, si vous préférez le « tête-à-tête », emporter chez vous. N’est-ce pas une bonne combine ?
Fais mousser dans la NRF, autant que possible, mon étude des Recherches : il faut, en effet, que Koyré soit très bien disposé pour avaler le morceau que je compte lui proposer pour l’année prochaine. Couvre-moi donc de fleurs, même si quelques-unes sont artificielles.
Mais fais également mousser les Recherches, en tant que telles, pour pouvoir toi-même y publier quelque chose l’année prochainec.
Je n’ai pas encore lu les insolences du gnome : si j’ai dû lui donner la jaunisse, tant mieux. Si tu le vois, dis-lui que ce n’est [p. 3] qu’un modeste commencement, et qu’il ne perd rien d’attendre.
As-tu l’occasion de voir Jardin ? Si oui, eng… le de ma part. C’est un sinistre individu que nous avons tort de ne pas exécuter. Donne-moi à l’occasion des nouvelles de sa famille, stp.
Et Dupuis ? J’attends depuis trois ans environ, un projet qu’il devait m’envoyer… qu’est-il devenu ?
Tu ne nous donnes aucune nouvelle précise de Z : que devient-elle dans la fournaise parisienne ? Suzanne qui attendait Mireille l’année dernière, en août, dans des conditions analogues, pense souvent à elle. Mais nous regrettons que tes lettres soient si laconiques sur ce chapitre.
Que dois-je faire pour le dénommé Sarrail ? L’écrira-t-il ? Ou dois-je lui écrire ?
Meilleurs souvenirs à tous les Consuls. Que font-ils, les uns et les autres ? Tu ne parles jamais de Chevalley… Que devient-il ?
Et le n° sur le Plan, qu’est-il devenu ? Étant donné que nos abonnés l’attendent depuis quinze jours, il faudrait tout de même finir par prendre une décision, et par les en informer (par la voix du Bulletin ?).
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