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1941-09-06, Alexandre Marc à Georges de Rougemont

Monsieur,

Ami de votre fils Denis, je me permets, en son absence, de m’adresser à vous.

Je vais droit au fait. Bien qu’ayant servi dans l’armée française, je suis considéré comme « apatride » et, comme tel, empêché de continuer mon travail.

Ma femme et moi avons lutté comme nous avons pu : mais, présentement, toutes nos ressources sont épuisées, et nous ne pouvons plus garantir la subsistance de nos trois enfants (7, 6 et 3 ans).

Croyez-vous que nous puissions obtenir l’autorisation de venir nous établir en Suisse et que nous ayons une chance d’y trouver du travail ? Collaboration aux journaux et revues, enseignement, ou autre chose ?

Veuillez m’excuser de venir solliciter si brutalement votre conseil : mais nous sommes aux abois, et, étant donné les circonstances actuelles, il m’est impossible de me tirer d’affaire en restant en France.

Je n’ajoute pas d’autres détails, mais je reste, bien entendu, à votre entière disposition pour tous les renseignements complémentaires que vous pourriez désirer. Veuillez me dire très franchement, par retour du courrier, s’il vous plaît, ce que vous pensez de ce projet (difficile à réaliser, nous le savons, mais [p. 2] que nous impose la nécessité) et si vous pouvez nous venir en aide.

Encore une fois, veuillez nous excuser… mais je n’ai pas le choix… et comme Denis est bon…

À vous lire, Monsieur, je vous prie d’agréer, en attendant, avec mes remerciements anticipés, l’expression de mes sentiments les plus distingués.
Alexandre-Marc Lipiansky

P. S. Comprenez-moi bien, nous accepterions n’importe quel travail, n’importe quelle situation, à condition de pouvoir vivre et faire vivre nos enfants.

Toute la question est de savoir si, grâce à des amis, comme Ramuz, par exemple, nous pouvons espérer obtenir rapidement les autorisations requises.

Encore merci.

AM